La naissance du désir

Quand on a 17 ans (2016) d’André Téchiné avec Sandrine Kiberlain, Kacey Mottet-Klein, Corentin Fila

La naissance du désir

Cela faisait très longtemps que je n’avais pas vu un film d’André Téchiné. Sept ans, pour être tout à fait exact puisque La Fille du RER est la dernière de ses œuvres pour laquelle je me suis déplacé. Du coup, je n’ai toujours pas vu Impardonnables et L’Homme qu’on aimait trop.

En découvrant Quand on a 17 ans, que je trouve supérieur aux derniers films du cinéaste que j’ai pu voir, je me suis néanmoins demandé si Téchiné manquait désormais de souffle ou si c’était moi qui avais vieilli et qui étais moins emballé par ce cinéma psychologique et âpre qui me réjouissait il y a 20 ans, à l’époque où le cinéaste tournait Ma Saison préférée et Les Roseaux sauvages, ses deux plus beaux films.

Difficile à dire, d’autant plus que je vois parfaitement dans Quand on 17 ans ce qui a pu me plaire dans le cinéma de Téchiné. Il faudrait être de parfaite mauvaise foi pour nier le talent du cinéaste lorsqu’il s’agit de filmer les premiers émois amoureux ou pour capter la fébrilité des corps en proie au désir. Lorsqu’il suit, par exemple, le jeune Thomas qui effectue chaque jour de longs trajets dans la montagne ou qu’il le filme nager en pleine nuit dans un lac glacial, Téchiné retrouve la grâce des moments « bucoliques » des Roseaux sauvages, mélange d’impressionnisme sensuel au contact des éléments, de la nature et de lyrisme discret.

Le film est divisé en trois parties et progresse au rythme des trois trimestres d’une année scolaire. Thomas et Damien sont dans la même classe et préparent le bac. Tout les oppose puisque Damien (Kacey Mottet-Klein) est le fils d’un militaire et d’un médecin (Sandrine Kiberlain) alors que Thomas (Corentin Fila) vit avec ses parents adoptifs dans une ferme isolée dans la montagne.  

Les deux adolescents ne se supportent pas mais il se trouve que Marianne, la mère de Damien, est amenée à soigner la mère de Thomas. Quand elle lui annonce qu’elle devra être hospitalisée, Marianne lui propose d’héberger Thomas afin qu’il puisse se concentrer sur ses études.

A partir de là, Téchiné va filmer la valse-hésitation d’un désir naissant entre les deux adolescents contraints à cette cohabitation. Le parcours est classique et on devine immédiatement que la haine laissera place à l’amour. Le cinéaste le filme néanmoins avec tact et sensibilité.

Depuis toujours, il est hanté par la question de l’adolescent provincial qui découvre son homosexualité et ce que cette différence entraîne d’un point de vue familial (souvenons-nous du très beau mais méconnu La Matiouette ou l’arrière-pays) ou social (les galères du jeune provincial à Paris dans J’embrasse pas).  

Du côté de la famille, les choses semblent s’être arrangées : si on devine que du côté de chez Thomas, il y a des choses qui ne se font pas et qui doivent être tues, c’est la tolérance qui règne chez Damien et du côté de sa mère. Même si la première scène prend soin d’isoler les deux adolescents au sein du groupe lors d’un cours de sport qui m’a rappelé des souvenirs (moi aussi, j’étais toujours le dernier choisi par les capitaines des équipes !), Téchiné choisit de ne pas aborder son récit sous l’angle de l’exclusion et du rejet. Pour le cinéaste, il s’agit vraiment de saisir l’éclosion du désir et le trouble de la révélation d’un sentiment amoureux. Ce sentiment est d’autant plus troublant qu’il a pour objet une personne de même sexe. Damien le confessera d’ailleurs à Thomas en se demandant si c’est vraiment les garçons qui l’attirent ou s’il est seulement amoureux de lui.

Toute cette dimension « impressionniste » est plutôt réussie. Téchiné saisit avec délicatesse les maladresses des corps qui se cherchent, le frémissement des lèvres qui s’attirent, l’émoi et le trouble de l’adolescence.

Pourtant, tout ne fonctionne pas dans Quand on aura 17 ans. A un moment donné, Damien lit devant la classe Sensation, le poème de Rimbaud (poète auquel le titre du film renvoie bien évidemment). D’une certaine manière, Téchiné ne parvient pas totalement à trouver un équilibre entre ces « sensations » rimbaldiennes qu’il retrouve par intermittence, notamment lorsqu’il filme la nature ; et le côté un peu « scolaire » de la récitation. Si l’on n’est pas sérieux quand on a 17 ans, le film l’est peut-être trop et échoue parfois à se laisser gagner par la fougue et la liberté de cette jeunesse.

Pour être plus clair, Téchiné n’ose pas trop lâcher les rênes et tient absolument à tout « boucler », à faire rentrer de force les sentiments qu’il met en jeu dans les rails de son récit. A ce titre, je trouve la dernière partie du film assez ratée. Pour relancer la mécanique scénaristique, il introduit un élément dramatique qu’on voit venir de loin (mais que je ne révèlerai pas) et qui alourdit ce qui était jusqu’à présent suggéré.

Plutôt que de jouer sur le non-dit, l’opacité, le trouble, le cinéaste cherche souvent à se rabattre sur la scène explicative, sur de la psychologie pas très intéressante. C’est, par exemple, ce moment où Damien se rend dans une exploitation bovine pour rencontrer un homme qu’il a contacté par un site de rencontres.

Le film souffre parfois de ce « volontarisme », d’une volonté de trop vouloir souligner chacun des faits et gestes des personnages comme si le poème ce fameux poème de Rimbaud avait été surligné en fluo par un adepte du bachotage consciencieux.

Ces quelques réserves n’empêchent cependant pas Quand on a 17 ans d’être un beau film dont la vélocité et la fluidité parviennent parfois à prendre de vitesse la rigidité d’un scénario un peu trop « bouclé »…

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