Les orgies sanglantes de Caligula
Caligula, la véritable histoire (1981) de Joe d’Amato avec Laura Gemser, David Brandon (Éditions Bach Films) Sortie en DVD le 27 avril 2016
On sait que le cinéma bis italien s’est toujours nourri des grands succès à la mode pour se les réapproprier et en proposer des versions fauchées et/ou dégradées en faisant parfois preuve d’une inventivité passionnante. Si l’exemple le plus célèbre reste celui des zombies de Romero qui donnèrent lieu à une flopée d’œuvres sanglantes du côté des bouchers-charcutiers du cinéma transalpin ; on peut aussi citer les nombreux ersatz de L’Exorciste, la mode des films post-apocalyptiques après Mad Max ou encore celle des films d’heroïc-fantasy dans la lignée du succès de Conan le barbare.
Le cas du Caligula de Tinto Brass est plus rare dans la mesure où c’est le succès d’un film italien qui va relancer soudainement un genre que l’on croyait tombé en désuétude : le péplum. Sauf que désormais, c’est l’élément érotique qui attire producteurs, réalisateurs et spectateurs et quoi de mieux que les turpitudes des empereurs romains pour attirer le chaland friand de chair fraîche et de sévices raffinés ?
On ne s’étonnera donc aucunement de voir le sympathique et roublard Joe d’Amato prendre le train en marche et nous proposer une nouvelle version de Caligula. Les premières scènes nous mettent d’emblée dans le bain : parce qu’il a essayé de l’assassiner, le poète Domitius est condamné à avoir les tendons des bras et des jambes sectionnés et la langue arrachée sur ordre de l’empereur. Scène éprouvante où le cinéaste prouve son attachement à un certain cinéma gore.
Par la suite, Caligula, la véritable histoire est avant tout le récit d’un désir de vengeance. Parce que la belle Livia s’est suicidée lors d’une tentative de viol et que son compagnon a été tué par le tyran, la belle Miriam (l’incontournable Laura Gemser) décide d’entrer à la cour de Caligula pour fomenter un plan et venger son amie.
Entre deux orgies et de nombreuses atrocités, la belle parviendra à séduire l’empereur et à s’en faire aimer.
Le cadre de l’Empire romain décadent convient à merveille au tempérament de bateleur de Joe d’Amato qui ne se censure jamais lorsqu’il s’agit d’être excessif. Plus fauché que le grand film baroque de Tinto Brass, son Caligula est un chaotique mélange de genres les plus extrêmes. A ce titre, une scène où deux gladiateurs se massacrent au milieu d’une orgie pourrait parfaitement résumer la teneur du film : une ambiance plutôt érotique soudainement entachée par des flots d’hémoglobines (qui giclent au visage des participants).
Gore, le film l’est parfois, notamment lors de cette scène éprouvante où un sénateur se fait empaler et voit la lance qu’on lui a enfoncée dans l’anus ressortir par la poitrine ! Mais cette dimension horrifique (Caligula n’hésite pas non plus à jeter violemment sur le sol un nourrisson !) et cruelle cohabite avec une atmosphère beaucoup plus sulfureuse de film érotique.
Là encore, le film est assez étonnant dans la mesure où il est, dans l’ensemble, assez « soft » sauf pendant un bon quart d’heure où d’Amato nous propose de la pornographie la plus débridée qui soit. Cette orgie, pas forcément passionnante, est plutôt bien filmée puisque le cinéaste évite la grammaire traditionnelle du cinéma porno (inserts, découpage qui morcelle la continuité de l’action) pour laisser sa caméra se faufiler entre les corps allongés. Même les couinements de rigueur sont plus ou moins masqués par la musique d’ambiance. Encore une fois, ce passage pornographique relève moins d’un genre ultra-codifié (où ces scènes reviennent avec la régularité d’un métronome) que de cette esthétique sensationnaliste dont d’Amato s’est fait le héraut. Comme le souligne avec justesse Sébastien Gayraud, tout le cinéma de d’Amato est marqué par les codes du « mondo movie », ces documentaires chocs et souvent bidonnés jouant la carte de l’exotisme et de l’outrance.
A ce titre, même la pornographie présentée n’est pas totalement « normale » et on retrouve chez le cinéaste ce goût pour les déviances lors d’un ahurissant passage zoophile où une courtisane masturbe… le cheval de l’empereur !
Pourtant, le caractère hétérogène du film (péplum, porno, gore, érotisme soft…) est tenu d’une manière assez remarquable dans le récit. Cinéaste habituellement très brouillon, d’Amato surprend ici par le soin accordé à la mise en scène et cette manière qu’il a d’intégrer le batelage forain dans une structure plutôt bien tenue. A ce titre, les scènes oniriques finales où Caligula déambule dans des catacombes, poursuivi par les fantômes de ses victimes, sont plutôt très belles et réussies.
Alors bien entendu, ce film n’est pas à laisser entre toutes les mains et je ne le recommanderais pas aux âmes sensibles. Mais pour les amateurs de curiosités malsaines et outrancières, ce Caligula, la véritable histoire est assurément l’un des meilleurs films du prolifique et étonnant Joe d’Amato…