Voisins vigilants
The ‘Burbs (1989) de Joe Dante avec Tom Hanks, Bruce Dern, Carrie Fisher. Editions Carlotta films. Sortie en DVD et BR le 1er décembre 2016
Après une série de films relevant du genre fantastique (Gremlins, L’Aventure intérieure…), Joe Dante revenait en 1989 à un cinéma plus quotidien, une comédie grinçante située dans une banlieue pavillonnaire d’une petite bourgade du Midwest. Ici vivent des banlieusards (the burbs en version originale) désœuvrés qui tuent l’ennui d’une existence monotone en espionnant leurs voisins. Ray Peterson (Tom Hanks), en particulier, qui a décidé de passer sa semaine de vacances à la maison pour se reposer.
Dans un environnement aussi familier, un désir de fiction se fait sentir et on regarde d’un œil louche une famille – les Klopek- arrivée récemment et dont le comportement est un peu étrange (ils ne sortent que la nuit, ils ne se lient avec personne…). Lorsque un des leurs disparaît (le vieux Walter), les voisins vigilants décident de passer à l’action et de résoudre ce mystère.
Dans un premier temps, en dépit d’un ancrage très précis dans un quotidien plutôt plat, Joe Dante s’amuse comme un petit fou avec les codes du cinéma fantastique gothique : les Klopek habitent dans une vaste demeure vieillotte, de mystérieuses lueurs s’échappent de leur cave, les membres de la famille possèdent des trognes patibulaires… A cela s’ajoutent les orages et de mystérieuses légendes urbaines quant au passé de la maison et du quartier.
Mais ce jeu avec les codes permet d’introduire un contraste entre l’existence terne de ces banlieusards et leur désir de se donner des frissons. Tout se passe comme si ces habitants avaient besoin de « voir » (à l’image du jeune garçon qui s’installe sur sa terrasse pour profiter du spectacle de ses voisins) et de se projeter dans la plus ahurissante des fictions. Dante joue d’ailleurs beaucoup sur cette distanciation en introduisant des extraits de films (Massacre à la tronçonneuse, L’Exorciste) ou en rendant certaines situations banales emphatiques par une mise en scène référentielle. Il suffit, par exemple, que les habitants se dirigent tout simplement vers la maison maudite pour que la scène se transforme en véritable western italien avec des gros plans sur les yeux comme chez Leone et la musique qu’Ennio Morricone avait composée pour Mon nom est personne.
Ce jeu avec les contrastes permet au cinéaste de livrer une satire mordante de « l’american way of life ». Comme dans les films de Tim Burton, nous sommes plongés dans un univers où règne le plus affligeant des conformismes, où les actions se limitent à la tonte de la pelouse (pour les hommes) et à la confection de tartes (pour les femmes). A travers le personnage de vétéran du Vietnam (Bruce Dern) qui hisse la bannière étoilée au-dessus de son jardin, Dante raille ce nationalisme de pacotille, cette manière pathétique qu’ont ces petites gens de jouer les héros et de faire rentrer dans le rang ceux qui ne vivent pas de la même manière ou dont les mœurs ne sont pas conformes à la norme.
Le résultat est fort réjouissant d’autant plus que les acteurs, Tom Hanks en tête (il commençait alors à devenir la célébrité que l’on connaît) en rajoutent pour rendre leurs personnages encore plus pathétiques et ploucs.
Pourtant, dans sa dernière partie, le film bifurque. Il s’agit de ne pas trop révéler l’astuce pour ne pas gâcher le plaisir du spectateur néophyte mais la fin peut un peu décevoir dans la mesure où elle semble contredire tout le discours du film. A ce titre, le DVD nous est proposé avec force suppléments très instructifs puisqu’on peut y découvrir une fin alternative, celle que Dante avait envisagée au départ. Pour ma part, je la préfère largement à celle finalement retenue, dans la mesure où elle est plus lapidaire et plus ironique et fait basculer le film du côté d’un univers à la Frank Henenlotter (où les « Freaks » deviennent les réprouvés de la société). Mais comme elle a été très mal perçue lors des premières projections, Dante a retourné une version plus explicative (donc un peu plus lourde) et moins sarcastique.
C’est un peu dommage mais il n’en demeure pas moins que The ‘Burbs reste une excellente surprise et une très jolie réussite qui ne dépareille pas dans l’œuvre irrévérencieuse et satirique de Joe Dante…