Un merveilleux dimanche (1947) d’Akira Kurosawa avec Chieko Nakakita, Isao Numasaki. (Editions Carlotta films). En salles depuis le 25 janvier 2016

Marathon Kurosawa : 2

Après le temps de la propagande (Le plus dignement), voici venir le temps de la reconstruction. Un merveilleux dimanche est une transposition d’un film de Griffith (Isn’t life wonderful) dans le cadre du Japon de l’immédiat après-guerre. Yuzo et Masako s’aiment mais les conditions économiques font que chacun est obligé de vivre séparément, lui chez un ami, elle chez sa sœur. Ils se retrouvent chaque dimanche pour passer la journée ensemble, rêvant d’un avenir meilleur…

En optant pour l’unité de temps (le film se déroule le temps d’un après-midi), Kurosawa réalise une chronique quotidienne qui frappe d’emblée par son caractère très réaliste. Le cinéaste parvient, par de menus détails (une chaussure trouée, une maison hors de prix pour le budget du couple…) et un sens aigu de l’observation, à décrire la misère qui frappait alors le peuple japonais. En inscrivant son couple dans un décor de ville ravagée par la guerre, Kurosawa rejoint les préoccupations des cinéastes néoréalistes italiens auxquels on songe souvent.

Un merveilleux dimanche semble être, tout d’abord, un titre mensonger puisque c’est une vision assez noire que nous propose Kurosawa : le couple ne peut entrer dans une salle de concert car les places sont revendues à des prix prohibitifs par des malfrats, le marché noir fait rage, les gamins des rues improvisent une partie de base-ball avec ce qu’ils ont sous la main… Le cinéaste parvient néanmoins à éviter la simple vision naturaliste par une mise en scène assez étonnante, qui annonce parfois la liberté de toutes les « nouvelles vagues » (ces travellings virtuoses sur le couple qui court dans la rue au milieu de badauds qui regardent la caméra) et stylisée : recours fréquent à de légères contreplongées qui donnent une certaine puissance aux plans, montage habile lors de la partie de base-ball qui évoque d’ailleurs la partie de volley dans Le plus dignement…   Le cadre réaliste du récit est un prétexte pour lorgner de temps en temps vers une espèce de mélodrame social assez touchant. Le couple souffre de ne pouvoir avoir un endroit à lui (une scène fait référence de manière assez explicite à leur frustration sexuelle) et la pluie vient souvent illustrer la misère de leur condition. Tous leurs gestes sont conditionnés par le fait d’avoir suffisamment d’argent ou pas et, à ce titre, la séquence où ils se rendent plein d’espoir vers une salle de concert est sans doute le plus beau moment du film, celui où s’articule le mieux la peinture réaliste d’une époque et l’émotion du mélodrame.

Pourtant, le titre du film n’est pas non plus complètement mensonger. A un moment donné, Masako dit que les rêves sont nécessaires, que sans eux « on étoufferait ». Si l’univers décrit est rude, Kurosawa le fait lentement dériver vers une vision onirique. Peu à peu, le monde « réel » semble s’estomper autour du couple. Dans un décor d’un amphithéâtre abandonné, nos deux amants vont se retrouver et imaginer qu’ils écoutent La Symphonie inachevée de Schubert. Yuzo jouera le rôle du chef d’orchestre tandis que Masako fera tous les spectateurs. Kurosawa procède par glissements successifs et joue à merveille sur le son : le vent semble d’abord recouvrir les ambiances « réalistes » avant de laisser lui-même la place à la musique le temps d’un pantomime hérité du cinéma muet.

Alors qu’Un merveilleux dimanche avait débuté du côté de Rossellini et De Sica, il se termine du côté de Chaplin et l’on commence à percevoir dans le film l’humanisme cher à Kurosowa.

Même si le film n’est pas encore totalement abouti (certaines séquences sont parfois un peu longuettes et trop « figées »), il séduit par sa dimension humaine et par cette manière de transcender une réalité sordide par le rêve et le pouvoir de la fiction…

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