Maîtresse (1976) de Barbet Schroeder avec Bulle Ogier, Gérard Depardieu (Editions Carlotta Films) Sortie en DVD le 26 avril 2017

Marathon Schroeder : 2

Dans son célèbre essai Le Masochisme au cinéma, Jean Streff (qui intervient ici dans l’un des bonus du film) analyse finement les liens profonds qui unissent la pratique du masochisme et le septième art. S’il fallait résumer sa thèse à quelques mots, il faudrait insister sur le caractère mis en scène du rituel masochiste. Pour un cinéaste du Jeu comme Barbet Schroeder (voir note précédente), la rencontre avec cet univers régi par des règles précises apparaît rétrospectivement comme une évidence.

Schroeder, qui s’est inspiré de l’expérience d’une vraie dominatrice, choisit de nous faire découvrir les règles de ces jeux érotiques et cérébraux par l’intermédiaire d’un jeune provincial, Olivier, qui débarque à Paris dans l’espoir de trouver du travail. C’est un Gérard Depardieu directement sorti des Valseuses (son copain lui demande d’ailleurs si Pierrot ne l’a pas accompagné !) qui incarne ce jeune homme à la fois fruste et d’une sensibilité à fleur de peau. En démarchant pour vendre des livres, il rencontre sur une très belle jeune femme (Bulle Ogier) qui gagne sa vie en régnant comme « maîtresse » sur d’étranges cérémonials masochistes.

A partir de ce moment, le film se déploie autour de deux axes. Tout d’abord, une histoire d’amour passionnelle entre un jeune provincial mal dégrossi et idéaliste, prêt à tout pour « sortir » sa bien-aimée d’une situation qu’il a du mal à admettre, et une « domina » qui évolue dans un univers par-delà le Bien et le Mal et qui tente de faire comprendre à son amant les règles de son jeu (elle n’est ni prostituée, ni soumise aux fantasmes de ses clients).

Mais la dimension la plus importante de Maîtresse est bien évidemment cette description clinique, parfois éprouvante (de vrais soumis, masqués, jouent dans le film et Bulle Ogier est doublée par une véritable dominatrice lors des scènes les plus difficiles) de l’univers du masochisme. Ce qu’il y a de passionnant, c’est la manière dont Barbet Schroeder parvient, effectivement, à placer entièrement ces pratiques sexuelles sur le terrain de la mise en scène et de l’imaginaire. Ariane la dominatrice habite dans un vaste appartement au sein duquel trône une table coulissante. Elle dissimule une trappe et une échelle qui lui permettent de se rendre dans un autre appartement aux allures de donjon. De manière très fine, le cinéaste suggère que l’on descend dans les tréfonds de l’inconscient et des fantasmes. Sa force est de ne jamais « juger » les pratiques qu’il montre, y compris les plus rudes (ce moment assez insoutenable où un « soumis » se fait clouer la peau du sexe à une planche puis percer les tétons) mais de nous montrer la toute-puissance du jeu et de la fiction.  

Jean Streff le souligne dans son interview : le film montre bien les deux visages du masochisme. D’une part, le « masochisme servile » qui permet d’inverser les rôles sociaux. Ariane et Olivier se rendent chez un châtelain qui les accueille déguisé en domestique et qui se fait vertement tancer par sa « maîtresse ». D’autre part, le masochisme punitif où le client a besoin d’un décorum particulier et d’une atmosphère évoquant les salles de torture des châteaux médiévaux. Mais dans les deux cas, dominants et dominés sont soumis à la même règle du jeu, une règle que ne comprend pas toujours Olivier. C’est pour cette raison qu’un des clients se révolte lorsqu’il commence à se faire frapper en dehors du contrat établi préalablement.

Pour le cinéaste, il s’agit comme son héroïne de « rentrer dans la folie des gens », d’ausculter la nature des désirs et fantasmes les plus enfouis de l’âme humaine. Ce pouvoir de la fiction, il l’inscrit au cœur d’individus qui sont à la fois metteurs en scène et acteurs sur la scène des fantasmes. A Olivier qui prétend qu’Ariane est soumise au bon vouloir de ses clients, celle-ci rétorque qu’elle aime ça et que c’est elle qui organise, qui met en scène les scénarios qu’on lui présente. Il y a une sorte de réversibilité dans ce jeu et –on imagine que c’est ça qui a aussi intéressé le cinéaste- elle peut être dangereuse comme le montre bien ce moment où Ariane est prise d’une crise de panique et semble étouffer lorsqu’elle réalise qu’elle tient entre ses mains le pouvoir de tuer un de ses clients.

Les limites qu’explorent une fois plus Schroeder ne sont pas celles du Bien et du Mal mais celle du Jeu et de ses Règles. Le Jeu n’est pas forcément dénué de toute « morale »  et peut aussi présenter certains dangers comme le montre la scène finale mais il a l’avantage de permettre une exploration plus nuancée de l’âme humaine, à mille lieues des conventions sociales et du moralisme.

En plein boom du cinéma pornographique, Barbet Schroeder proposait une réflexion passionnante sur une sexualité envisagée sous un angle ludique (hors de son travail, Ariane joue avec Olivier une scène d’agression) et cérébral.

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