Marathon Schroeder : 3
Koko, le gorille qui parle (1978) de Barbet Schroeder. (Editions Carlotta films). Sortie en DVD le 26 avril 2017
Comme le note malicieusement Jean Douchet en bonus du film, Koko, le gorille qui parle raconte, comme Maîtresse, l’histoire d’une jeune femme qui cherche à « dresser » quelqu'un mais cette fois, dans un autre sens puisqu’il s’agit de « pédagogie ». On suit en effet dans ce documentaire les expériences menées par l’éthologue Penny Patterson sur une femelle gorille qui est parvenue à connaître, à l’âge de 7 ans, près de 350 mots (ce qui en fait un être à peu près aussi évolué que Cyril Hanouna ou Aymeric Caron) appris grâce au langage des signes.
Il y a, à la fin de Maîtresse, une scène très dure où Olivier/Depardieu se rend dans un abattoir et assiste à l’égorgement d’un cheval. Ce passage est intrigant dans la mesure où il n’a pas de rapport direct avec l’intrigue mais qu’il la commente en ce sens que Schroeder s’interroge sur la question de la souffrance et sur la part « animale » nichée au cœur de l’humanité souffrante.
C’est ce thème que l’on retrouve au centre de Koko : quel statut donner à ce gorille qui a la possibilité de s’exprimer, de communiquer – même de façon sommaire- avec l’homme, qui a une conscience évidente d'elle-même et qui peut même faire des choix (cette scène étonnante où elle réclame un pull rouge pour sortir en lieu et place du jaune que sa maîtresse lui propose) ?
A travers ce véritable personnage (« une vraie star » selon Schroeder), le cinéaste pose la question du droit de l’animal et se place sur un plan philosophique (à mille lieues des pleurnicheries actuelles) assez vertigineux : l’homme déjà détrôné de son statut de « Dieu » au cœur de la nature par la théorie de l’évolution n’a même plus la seule exclusivité du langage pour justifier sa domination sans partage sur ladite nature. Un des derniers plans du film, montrant au loin Penny et Koko face-à-face fait d’ailleurs songer au prologue de 2001 et à ce raccord vertigineux qui relie le singe à l’homme et à l’espace infini.
Au départ, il devait aborder ce film sous la forme d’une fiction mais pour diverses raisons, il a tiré de son matériau de base un documentaire. Mais d’un point de vue « dramaturgique », il parvient à conserver quelques éléments qui pourraient relever de la fiction, comme la présence de ce gardien de zoo qui a lui-même conscience de jouer « le méchant ». En effet, pour cet homme, Koko n’a pas à être isolé des autres gorilles et on n’a pas à « l’humaniser ».
Grâce à ce personnage, Schroeder met en lumière le véritable enjeu du film qui n’est pas véritablement la question du « droit des animaux » mais davantage celui de la spécificité des espèces. En effet, ce qui caractérise Penny Patterson indépendamment de l’immense intérêt de ses études scientifiques, c’est une façon unilatérale d’envisager l’éducation. Elle parle à Koko comme on parlerait à un enfant en bas-âge ou à un sourd-muet et ce qui, au bout du compte, semble l’intéresser, c’est que ce gorille soit dressé comme un « petit homme ». Or, ce que dit très justement le gardien du zoo (et Schroeder confie que c’est lui qu'il lui a soufflé les mots), c’est que l’animal n’a aucune notion du Bien et du Mal et de ces grands principes que la jeune femme cherche à lui inculquer.
Ce qui passionne le cinéaste, c’est d’explorer au-delà de ce « dressage » finalement assez stéréotypé les frontières entre l’humanité et l’animalité, ce qui nous distingue de ce fascinant gorille et ce qui nous en rapproche aussi. C’est cette ambiguïté qui fait le prix de ce documentaire : montrer qu’un animal peut être un « individu » comme un être humain mais qu’il perd aussi, à ce prix, la singularité de son espèce.
Loin de toutes les incantations idéologiques actuelles (qu’évoque assez justement un éthologue en supplément du film), Schroeder se garde bien de donner une réponse à ce dilemme et nous laisse face à cet abyme qu’ouvre devant nous le regard si expressif de Koko…