Puissance de la parole
Répliques n°8 (avril 2017)
On peut se demander si, avec les multiples possibilités offertes par Internet, il n’y a pas désormais plus de monde qui écrit sur le cinéma que de spectateurs dans les salles. Pourtant, on aurait tort d’ironiser face à un besoin et un désir de plus en plus prégnants d’écriture sur toutes ces images qui nous submergent quotidiennement. Le retour en grâce du support papier, que l’on constate aussi du côté des fanzines qui n’ont jamais été aussi florissants, témoigne à sa manière de ce besoin de prendre du recul grâce aux mots.
On assiste donc à la naissance de nouveaux titres de presse (La Septième obsession pourrait être l’un des exemples les plus symptomatiques) et à une volonté de ne pas forcément subir le diktat de l’actualité qui sclérose la plupart des publications sur le cinéma (quelles que soient leurs qualités par ailleurs).
A ce titre, la revue Répliques dirigée depuis 2012 par Nicolas Thévenin et Erwan Floch’lay s’inscrit davantage dans la lignée de Trafic que dans celle de ses consœurs adossées aux sorties du moment. Mais si la volonté de prendre un recul bienvenu par rapport au flux de l’actualité qui caractérise les deux publications, la comparaison s’arrête là dans la mesure où Répliques n’est constituée que de longs et riches entretiens.
Dans ce numéro 8 qui bénéficie, comme les précédents, d’une couverture monochrome (comme au glorieux temps de L’Internationale Situationniste) et d’une maquette élégante, nous trouverons donc trois entretiens avec des réalisateurs (Eugène Green, Sébastien Betbeder et Bruno Podalydès), une conversation avec le critique Philippe Azoury et une interview d’une artiste marocaine plus polyvalente (art vidéo, photographies, installations…) : Touda Bouanani.
Cette volonté de recueillir la parole des créateurs afin de revenir en profondeur sur leurs œuvres respectives se révèle particulièrement fructueuse : Eugène Green explicite en détails sa conception exigeante du « cinématographe » et parle de fort belle manière de son rapport à la langue, au religieux (au sens large) et aux « Barbares » (les américains) ; Podalydès revient sur toute sa carrière et agrémente son récit (où il est question de sa conception très particulière de la comédie, de son rapport aux comédiens, au monde du travail…) d’anecdotes savoureuses (sa relation avec Arditi, sa théorie du « fond du yaourt »…). Je connais moins le travail de Sébastien Betbeder mais sa manière d’évoquer Rivette, Resnais (un des fils conducteurs de la revue, d’ailleurs) donne très envie de découvrir une œuvre ouverte à la mélancolie.
Avec Azoury se dévoile également un axe passionnant de la revue : dialoguer autour du cinéma et pas seulement avec les gens qui le font. L’entretien a d’ailleurs quelque chose d’anachronique (réalisé en 2013 et évoquant un blog désormais inactif…) mais il reste passionnant, centré autour de la personnalité de Philippe Garrel à qui Azoury consacrait alors un livre. Mis à part quelques coquetteries de l’interviewé (il faudrait absolument proscrire à tout jamais l’utilisation du barbarisme « ambiancer »), ce dialogue se révèle riche et dense sur la question de la critique, de l’écriture, du rapport intime aux œuvres…
Au bout du compte, Répliques parvient parfaitement à atteindre son but : à la fois approfondir la connaissance des œuvres que l’on connaît (Green, Podalydès) et donner envie de découvrir celles qu’on ne connaît pas (je parle à titre personnel, bien évidemment) : Betbeder, Bouanani).