Voyage of Time (2016) de Terrence Malick

Mystique et toc

L’honnêteté m’oblige à signaler d’emblée le caractère plutôt minoritaire de l’avis que vous allez lire. En effet, si j’en crois les réactions des internautes cinéphiles sur Twitter, Voyage of Time a emporté quasiment tous les suffrages. D’autre part, il convient aussi de préciser quelque chose puisque certains estiment que c’est désormais « snob » d’attaquer Malick : si je n’ai jamais vraiment adhéré sans réserve aux œuvres de ce cinéaste (à part l’éblouissant Badlands), c’est la première fois que je n’aime pas du tout l’un de ses films (avec néanmoins un bémol : je n’ai toujours pas vu To the Wonder et Knight of Cups). Je n’ai donc pas de « dent » particulière contre Malick.

Pour comprendre Voyage of time, il faut remonter à Tree of life. On se souvient que ce beau film était souvent plombé par les ambitions « cosmiques » du cinéaste, notamment dans l’insupportable partie « Genèse » du récit (ah ! les dinosaures de sinistre mémoire !). Or Voyage of Time fait désormais l’économie d’un embryon de récit pour embrasser pendant une heure trente le mystère de la création de l’univers et une méditation sur notre rapport à « mère nature ».  

En guise de cinéma, nous aurons droit à un patchwork d’images combinant l’infiniment grand (des plans de l’univers, des planètes…) et l’infiniment petit (les spermatozoïdes), les quatre éléments (l’eau, le feu, la terre, l’air) et de petites saynètes insipides tournées en DV par des amateurs que Malick insère dans son montage comme pour montrer, par contraste, la petitesse et la misère de l’Homme face à la splendeur de la nature. La construction, on peut le voir, est assez scolaire et rien dans cet agencement ne vient tirer le spectateur de sa torpeur car Malick ne vise qu’à une chose : la sidération. Pour cela, il va puiser un peu partout : esthétique de documentaires animaliers sponsorisés par National Geographic (des éléphants, des méduses…), emphase publicitaire qui évoque aussi bien certains spots pour l’eau minérale (« un volcan s’éteint, un être s’éveille… ») que le pompiérisme d’un Yann Arthus-Bertrand (Malick a d’ailleurs puisé certains de ses plans dans Home), retouches numériques qui rendent artificiels les plans de nature, effets-spéciaux parfois douteux (encore des dinosaures !)… Le tout nappé dans une mystique New-Age absolument grotesque. Cate Blanchett, en voix-off, déclame non sans un certain dolorisme, un hymne à notre « Mère Nature » totalement creux et sulpicien. Les images, au bout du compte, ne font qu’illustrer ce texte extrêmement pauvre, à tel point qu’on peut facilement imaginer un autre bout-à-bout de plans sans que cela nuise véritablement au « propos » du film.

Difficile néanmoins de critiquer une œuvre qui réclame avant tout une adhésion d’ordre religieux. Il fallait lire les recommandations de certains internautes demandant aux futurs spectateurs d’oublier « tous leurs préjugés » et ne de pas la voir « avec vanité ». Ou encore, après la séance, certains affirmer qu’ils seraient longtemps « hantés par l’œil d’une seiche ». Je n’ai même pas envie de me moquer car je sais leur émotion sincère mais le problème de l’œil d’une seiche ou de n’importe quel plan de Voyage of Time, c’est que tout le monde peut y apporter ce qu’il veut. Ça pourrait être la preuve d’une œuvre ouverte, empreinte de générosité mais j’y vois plutôt une volonté de ne rechercher qu’une adhésion mystique. Car pour qui n’adhère pas au projet, quel pensum assommant ! Comment oser parler de philosophie et de poésie pour un film qui ne fait que ressasser sur la « générosité » (ah bon ?) de notre « Mère Nature » et qui se contente de célébrer béatement le « Tout est dans Tout ».

Si on passe outre cette volonté de sidérer (et il faut reconnaître que certains plans sont impressionnants mais ça reste ce que Daney appelait du « visuel », de la pure imagerie publicitaire et/ou numérique), le film se révèle assez pauvre plastiquement (cet étalonnage qui rend paradoxalement assez artificiel les plans de nature) et surtout du point de vue de la mise en scène. Un exemple entre mille : la grotesque séquence des hommes préhistoriques. Malick procède à sa manière habituelle (caméra virevoltante, jump-cuts…) et se débrouille toujours pour ne jamais montrer la moindre bistouquette à l’écran (ces hommes sont bien évidemment nus). Entendons-nous bien : je ne recherche pas la vue de bistouquettes à tout prix lorsque je me rends en salle mais ce parti-pris induit ici un montage assez ridicule (chaque coupe agit comme un cache-sexe !) où tout sonne faux comme dans un « docu-fiction » (ces « faits réels » reconstitués sous forme de mini-fiction) de France 5.

Rien n’est habité ou construit dans cet assemblage illustratif qui fait regretter Kubrick (avec son fameux raccord à la fin du prologue de 2001, le cinéaste en dit plus que dans tout ce long-métrage) et qui navigue entre les productions de Jacques Perrin (d’ailleurs, comme c’est étrange !, producteur associé de ce film) et l’emphase d’un Lelouch (Malick signe ici, en quelque sorte, sa Belle Histoire !)

Encore une fois, je reconnais que si je reste complètement hermétique à cette pseudo philosophie, ce mysticisme adolescent, ce panthéisme béat, ce n’est pas le cas de beaucoup de mes petits camarades. Je ne vous décourage donc pas de le découvrir (même s’il n’est plus en salles en raison d’une opération marketing maline du distributeur qui a limité la diffusion de l’œuvre à une seule séance dans toute la France) mais, pour ma part, je suis resté de marbre devant cette quête des origines aussi ronflante que creuse.

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