Juliet Berto par Gérard Courant (2016)

L’Avant-garde par Gérard Courant (2016)

Jean-Christophe Averty par Gérard Courant (2016)

3 DVD parus chez L’Harmattan Vidéo

Au pays de Juliet

C’était en 1991 ou 1992, je ne me souviens plus exactement. Mon cinéma dijonnais préféré programmait alors une intégrale (ou presque) des films de Jacques Rivette. L’occasion rêvée pour le jeune cinéphile que j’étais de découvrir une œuvre qui me fascinait. Jusqu’à présent, je n’avais vu que La Belle noiseuse (sorti en salles quelques temps avant) et L’Amour fou (au ciné-club de Claude-Jean Philippe). Coup sur coup, j’allais pouvoir découvrir La Religieuse, Hurlevent, L’Amour par terre, La Bande des quatre, Duelle et surtout Céline et Julie vont en bateau. C’est dans ces deux derniers films que je découvris Juliet, fille de la lune, fabuleuse pétroleuse déguisée en Musidora ou croquant des bonbons hallucinogènes. Elle intègrera immédiatement le panthéon de mes icônes, à côté de celles que je revoyais avec plaisir chez Rivette : Anna Karina en religieuse cloitrée contre son gré, Bulle Ogier revenue des expérimentations théâtrales de L’Amour fou, Marie-France Pisier adorée dans Antoine et Colette et L’Amour en fuite… J’essayai alors d’en savoir plus sur cette mystérieuse Juliet dont j’avais aperçu la silhouette dans le Week-end de Godard (je verrai La Chinoise et Le Gai savoir beaucoup plus tard) mais, à cette époque, il n’y avait pas Internet.

J’ignore si c’est en feuilletant ma collection de Revue du cinéma mais je découvris, avec une immense tristesse, que la jeune femme était morte il y a peu, exactement 15 jours avant Ava Gardner. Depuis, Juliet Berto est devenue, outre l’excellente actrice qu’elle a toujours été, une sorte d’étoile guidant mes pas de cinéphile. J’ai essayé par la suite de voir tous ses films, y compris les très mauvais (Sex-shop de Claude Berri) et ceux qu’elle avait réalisés (le beau Neige étrillé par cette crapule d’Autant-Lara, l’intéressant Cap canaille)

En 1984, Gérard Courant filme la belle actrice pour sa série Cinématon qu’elle met en scène en plaçant une vitre légèrement teintée entre elle et la caméra du cinéaste. Le portrait est très beau, à la fois intime et un peu distant puisqu’on aperçoit de temps en temps le reflet de Courant.

Du coup, au même titre que Bernadette Lafont ou Bulle Ogier, Juliet Berto s’octroie également une place dans le panthéon des « icônes » de Gérard Courant. Qui d’autre qu’elle aura mieux incarné  une certaine modernité cinématographique née après Mai 68 ? En plus des Cinématons consacrés à ceux qui l’ont côtoyée, qu’il s’agisse des cinéastes qui l’ont fait tourner (Tanner, Godard, Kramer, Berri, Arrabal, Van Effenterre…), des comédiens qu’elle a utilisés (Bohringer, Stévenin, sa nièce Frédérique Jamet…) ; Gérard Courant nous propose un « Carnet filmé » intitulé Le Cinéma Le Trianon de Verneuil-sur-Avre célèbre Juliet Berto.

En mars 2015, à l’occasion de la journée des droits de la femme, le cinéma normand de Verneuil-sur-Avre rend un hommage à Juliet Berto en projetant le très rare Havre (je ne l’ai toujours pas vu !), son troisième et dernier long-métrage, un film signé Jean-Yves Carrée Le Besque et deux films de Courant (le fameux Cinématon + le Couple que Juliet Berto tourna avec Frédérique Jamet). C’est cette soirée que Courant a enregistrée et qu’il nous propose sous forme d’installation puisque l’écran est divisé en quatre : en haut à gauche, la soirée proprement dite, à gauche, le film de la série Cinéma consacré au Trianon, en bas à gauche, le Cinématon de Juliet Berto et son Couple à droite. Comme d’habitude, l’intérêt de ce « carnet » est sa valeur d’archive puisqu'il s'agit de conserver une trace d’un groupe d’irréductibles cinéphiles (malheureusement, la salle fait assez vide !) célébrant la mémoire d’une actrice disparue et relativement méconnue.

Alors même si c’est parfois la confusion qui semble régner (tout le monde parle en même temps), que le son n’est pas toujours parfait, on est happé par l’ambiance de cette cérémonie profane où apparaissent la sœur de Juliette Berto (Moune Jamet) et sa petite-nièce. On pourra juger que les témoignages apportés au cours de la soirée restent assez anecdotiques mais ils finissent pourtant par dessiner les contours d’un portrait émouvant.

Au pays de Juliet

Comme je le disais dans une note précédente, la série Cinématon constitue désormais un vivier considérable pour procéder à des regroupements thématiques. Après les films « olé-olé », Gérard Courant a sélectionné 32 portraits de cinéastes expérimentaux pour constituer le DVD L’Avant-garde par Gérard Courant. Je vous épargne une nouvelle analyse de ces portraits dont j’ai dû parler çà et là. Sachez seulement qu’on retrouve dans cette anthologie les réalisateurs les plus célèbres (Mekas, Morder, Hanoun, Ossang, Farocki, Kubelka, Snow, Sharits, Dwoskin, Jarman, Lehman…) comme les moins connus (Werner Nekes disparu il y a peu, Teo Hernandez, etc.) mais également les critiques qui ont accompagné ce mouvement : Dominique Noguez, Raphaël Bassan… L’ensemble constitue des documents d’archive absolument formidables et inestimables. Mais ça, vous le savez déjà…

Au pays de Juliet

Pionnier génial d’une « autre » télévision, Jean-Christophe Averty fut invité par le Centre de Recherches sur le surréalisme de l’université Paris III pour participer aux journées d’étude sur le thème « Surréalistes et rebelles ». Gérard Courant y était et a pu enregistrer une partie des communications des intervenants et – surtout- la parole précieuse d’Averty quelques années avant son décès (nous sommes en 2014). Encore une fois, il faut louer Gérard Courant et son obsession de l’archivage qui lui permet de conserver des traces de ce que fut la vie culturelle de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème. Averty intervient peu mais il le fait toujours avec beaucoup d’humour (voir ses anecdotes sur le tournage d’un film avec Vasarely) et l’on réalise vite que ce fut un homme d’une grande culture, au génie malicieux. Quant à Courant, c’est son versant « warholien » qu’il dévoile dans les deux films présentés dans ce DVD. En effet, il s’agit du même film de l’événement mais les images en surimpression sont différentes. Dans le premier cas (Au service de Jean-Claude Averty mode Jarry), le cinéaste utilise les images de l’Ubu Roi réalisé par Averty en 1965 tandis que dans le deuxième, nous apercevons celles du Songe d’une nuit d’été réalisé en 1969 (Au service de Jean-Claude Averty mode Shakespeare). Comme dans beaucoup de ses œuvres, Courant travaille sur la sérialité et cherche à apporter un éclairage nouveau sur les images qu’il a déjà filmées. Ceux qui s’intéressent avant tout à la dimension « archivistique » de son cinéma et moins à son versant "conceptuel" pourront toujours se passer d’une des deux versions sans pour autant se priver de ces images émouvantes d'Averty.

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