L’Amant d’un jour (2017) de Philippe Garrel avec Louise Chevillotte, Esther Garrel, Eric Caravaca

La fidélité

Même si la rupture est sans doute moins marquante que celle qui mit fin à la période « visionnaire » de Garrel et le fit revenir, à partir de L’Enfant secret, à un cinéma plus narratif ;  il semblerait que le cinéaste ait entamé, depuis quelques films (disons La Jalousie) une nouvelle étape dans son œuvre. Non pas qu’il ait complètement abandonné la veine autobiographique qui irriguait encore de superbes films comme La Frontière de l’aube (fantôme de Jean Seberg) et Un été brûlant (fantôme de Frédéric Pardo) mais désormais, cette dimension semble s’estomper et se dissoudre dans des films abordant les thèmes les plus rabâchés du cinéma d’auteur français (l’amour, le couple, la fidélité, le désir, la jalousie…) que Garrel traite sous la forme d’épures bouleversantes.

Dans L’Amant d’un jour, Jeanne (Esther Garrel) retourne chez son père Gilles (Eric Caravaca) après une douloureuse rupture amoureuse. Celui-ci, professeur de philosophie à la faculté, vit désormais avec Ariane (Louise Chevillotte), une de ses étudiantes ayant l’âge de sa fille…

On reconnaît d’emblée le style inimitable de Garrel : noir et blanc charbonneux, décors nus, appartements sans fioritures et une vision de Paris un peu décalée, à la fois marquée par quelques signes de la modernité (les téléphones portables) et une certaine intemporalité. Le prodige, c’est qu’en abordant des situations ultra-convenues, le cinéaste parvient à faire comme si elles étaient filmées pour la première fois. De la même manière, sans avoir besoin d’un plan de trop, il parvient à faire exister ses personnages à l’écran, à nous suggérer une histoire antérieure et à nous plonger dans leur présent. Rarement on aura aussi bien exprimé, à mon sens, la douleur d’une rupture que par cette scène où Esther Garrel semble littéralement suffoquer. Généralement, au cinéma, ce sont souvent les cris et les pleurs qui l’emportent. Ici, et cela me semble très juste, c’est la sensation d’étouffer qui l’emporte, comme s’il était désormais impossible de compter sur un amour qui nous permettait tout simplement de respirer.

Cinéaste de « chambre », Garrel convoque une fois de plus les fantômes de Jean Eustache en mettant en scène un homme partagé entre la « maman » (sa fille) et la « putain » (cette étudiante qui entend bien ne pas renoncer à ses désirs). A ce propos, certains idéologues à la petite semaine, avec la délicatesse d’une main de ramoneur sur une culotte de jeune mariée, sont venus plaquer leurs grilles préétablies sur le film pour y déceler de la « misogynie » et du « sexisme ». Or s’il est bien un cinéma qui ne vise pas la « représentativité », c’est bien celui de Garrel. Celui-ci part toujours de l’infiniment petit, de l’intime pour toucher à l’universel. De plus, le cinéaste ne juge jamais les actes et les pensées de ses personnages mais sonde les répercussions qu’ils peuvent avoir ainsi que la manière dont les « principes » de chacun se heurtent violemment à la réalité des faits.

La question qui taraude le cinéaste dans L’Amant d’un jour, c’est celle de la fidélité. Mais il faut prendre cette notion au sens large : fidélité physique, bien entendu mais également fidélité à ses engagements, à ses souvenirs, à son passé. Déjà L’Ombre des femmes marquait une étonnante inflexion dans le cinéma de Garrel à travers le personnage du faux résistant. Alors que le cinéaste avait bâti toute son « aura romantique » sur une inflexible fidélité à ses fantômes (Nico, Seberg, son père…), il démystifiait dans ce film ce statut en montrant un personnage dont la vie n’avait rien à voir avec les principes qu’il défendait. Dans L’Amant d’un jour, on retrouve cette difficulté d’accorder son existence avec les grands principes qu’il incarnait. Gilles se veut « libéral », admet que sa compagne ait des amants de son âge mais il la gifle pourtant lorsqu’il constate qu’elle l’a trompé. Par petites touches d’une incroyable délicatesse et d’une précision inouïe, Garrel décortique cette question de la fidélité. D’un côté, une fidélité « classique » comme celle de Jeanne qui voit dans le couple une manière « d’avoir moins froid » mais qui reconnaît aussi ce que cette vision peut avoir de « pantouflard » tandis qu’Ariane reste à l’écoute de ses désirs, ce qui lui vaut à la fois des désillusions (peut-on rester « fidèle » à l’être aimé si on le trompe physiquement ?) mais qui lui permet également de garder une personnalité plus tranchante, plus saillante. En refusant la routine du couple bourgeois, elle a l’impression d’être plus « elle-même », de moins composer.

Garrel se garde bien de louer ou blâmer ces deux attitudes. Il a désormais un côté presque « rohmérien » : non pas tant dans l’épanchement verbal que dans cette manière de montrer comment les préceptes de vie qu’on se forge finissent toujours par céder face aux contingences de la réalité et de l’altérité.

A partir du moment où l’on se risque au couple, il faut composer avec l’Autre et c’est à chaque fois un pari insensé. Pari qui  n’est pas forcément malheureux, comme le montre le finale radieux du film mais qui peut aussi être douloureux. Mais pour Garrel, éternel amoureux, c’est le seul pari qui vaille la peine d’être tenté…

 

NB : Difficile de parler « à chaud » de ce film mais il faudrait aussi évoquer la question de la paternité, de la fidélité à son passé mais aussi de la transmission, du désir… On l’aura compris, ce film très court (1h16) est d’une richesse inépuisable.

 

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