Le dilemme du blogueur
Aujourd’hui, je vous propose de vous ouvrir les portes de ma cuisine interne et de vous exposer les dilemmes moraux du blogueur cinéma. En effet, précédé que je suis par ma notoriété mondiale et mon immense lectorat (hum !), les éditeurs (de DVD et de livres) me font souvent le plaisir de m’envoyer des exemplaires de presse de leurs dernières sorties (parfois je les réclame, parfois je les reçois systématiquement). J’en profite, sans fausse flagornerie, pour les remercier (surtout ceux qui ne se contentent pas du déprimant « DVD test » envoyé sous poche plastique !).
Mon problème est celui de l’attitude à adopter face à des films que je n’aime pas : faut-il quand même en parler et signaler ainsi leur existence à mes admiratrices afin qu’elles se fassent leur propre opinion ou faut-il les passer sous silence plutôt que d’en dire du mal ? Question d’autant plus cruciale lorsqu’il s’agit de votre propre éditeur mais j’ai néanmoins opté pour la première solution. Quelques mots, donc, sur de (plus ou moins) récentes sorties (DVD ou reprise en salles)
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Crépuscule (1941) d’Henry Hathaway avec Gene Tierney, Bruce Cabot, George Sanders (éditions Artus films)
J’attendais une bonne surprise de ce film pour deux raisons. La première, parce qu’il est réalisé par Henry Hathaway, auteur d’au moins deux chefs-d’œuvre (Peter Ibbetson et Kiss of Death) et d’une flopée de très bons films (le célèbre Niagara avec Marilyn Monroe). La seconde parce que le rôle principal est tenu par la divine Gene Tierney, jeune femme de 20 ans alors en pleine ascension vers le royaume des étoiles du 7ème art. Las ! Crépuscule est une poussive série B d’aventures qui fait rimer exotisme avec patriotisme puisqu’on y décèle déjà une prise de position hollywoodienne pro-anglaise contre le nazisme. Mais la géopolitique intéresse peu le cinéaste qui cherche avant tout à offrir de jolies cartes postales d’Afrique (le film se déroule au Kenya) et à mettre en valeur sa princesse des mille et une nuits. Malgré la présence sacrifiée du grand George Sanders, l’œuvre s’avère très mollassonne et l’on songe surtout à la ringardise des œuvres « exotiques » qui faisaient fantasmer Mia Farrow dans La Rose pourpre du Caire (le personnage du colon avec son petit short beige et son casque). Ça pourrait être gentiment inoffensif mais Hathaway termine sur un éloge de l’église et de l’armée qui a fini de m’achever !
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Bébé vampire (1972) de John Sayes avec William Smith, Michael Pataki (Editions Artus Films)
Nouvelle variation sur le mythe du vampire à l’attention du public des « Drive In » des années 70. Réalisé par un cinéaste très obscur sauf pour les amateurs pointus du « bis » (à ce titre, je recommande le bonus d’Eric Peretti qui est vraiment passionnant. Beaucoup plus que le film !), Bébé vampire débute par l’agression sexuelle d’une jeune femme qui s’apprêtait à prendre du bon temps avec son amant qui, de son côté, sera purement et simplement dessoudé. Manque de chance, le viol est suivi d’une grossesse et le rejeton illégitime de cette union ignoble décidera, une fois adulte, de retrouver son géniteur…
Si je n’ai rien contre les surgeons dégradés de la geste vampirique comme on en trouve à cette époque chez Jean Rollin ou Jess Franco, il convient de signaler que celui-ci se distingue par le relâchement de sa mise en scène et la fadeur de son imagerie. On aurait aimé de somptueux excès mais le film est à peu près aussi dépourvu d’érotisme qu’un billet de blogueuse féministe et il est dénué (ou presque) de violence sauvage. Ne surnage qu’une scène où la mère s’entaille légèrement le haut du sein (que les thuriféraires de Christine Boutin se rassurent : on ne le voit pas !) pour que quelques gouttes de sang coulent sur le visage d’un nourrisson déjà accroc à l’hémoglobine.
C’est beaucoup trop peu pour maintenir l’éventuel intérêt du spectateur…
Pour ne pas finir en mauvais termes avec nos amis d’Artus, on peut toujours vous conseiller d’acheter le livre que votre serviteur a consacré à La Brigandine et annoncer que la rentrée sera tonitruante chez l’éditeur puisqu’on annonce déjà de beaux Jess Franco et du Lucio Fulci (avec du Blu-Ray).
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Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été (1974) de Lina Wertmüller avec Mariangela Melato, Giancarlo Giannini (Editions Carlotta films) Sortie en salles depuis le 21 juin 2017
Voilà un titre bien improbable pour une fable étrange signée Lina Wertmüller, réalisatrice italienne peu connue en nos francophones contrées (c’est le premier film que je vois de cette dame). Elle débute comme une comédie grinçante et outrée, opposant l’aristocrate Raffaella et ses invités sur un yacht. Celle-ci tient des propos à la fois extrêmement réactionnaires et d’un anticommunisme primaire qui rendrait presque sympathique les grotesques baudruches de la « France insoumise ». En jouant sur l’opposition entre ce personnage et les matelots exploités, Wertmüller s’inscrit dans une certaine tradition de la comédie italienne affectionnant particulièrement un certain « ancrage » social. Mais très vite, on quitte ce cadre idyllique pour bifurquer vers la fable métaphorique lorsque la belle se retrouve coincée sur une île déserte avec un matelot hostile. Les rapports de force s’inversent et le maître devient esclave.
Le propos de la cinéaste n’est pas très clair : jouant d’abord de manière extrêmement caricaturale sur les oppositions de classes, elle semble montrer que les « exploités » n’attendent que leur heure pour devenir à leur tour bourreaux. Les violences que lui fait subir Gennarino sont assez insupportables d’autant plus qu’elles apparaissent comme une sorte de « vengeance » légitime aux yeux du spectateur. La cinéaste aurait pu en tirer quelque chose d’intéressant sur les instincts haineux d’un peuple revanchard ou sur l’homme à l’état naturel mais elle nous assène une parabole interminable et assez déplaisante dans la mesure où la femme finit par se soumettre totalement à un homme redevenu bestial et esclave de ses instincts (il la viole régulièrement avant qu’elle tombe dans ses bras et lui demande même gentiment de la sodomiser, ce que le pauvre bougre ne fera pas puisqu'il ne comprend pas le mot !). Le propos m’a paru confus et la mise en scène beaucoup trop filandreuse pour lui donner un peu de chair. Reste deux bons comédiens et quelques répliques salées mais ce n’est pas suffisant.