Marathon Schroeder : 5
La Vierge des tueurs (2000) de Barbet Schroeder avec German Jaramillo (Editions Carlotta films). Sortie en DVD depuis le 26 avril 2017
Tourné à Medellin, La Vierge des tueurs est l’adaptation d’un roman très autobiographique de Fernando Vallejo. Après 30 ans d’absence, l’écrivain revient dans sa ville pour y mourir. Dans un bordel de garçons, il s’entiche d’Alexis, un adolescent issu des quartiers les plus défavorisés. Tueur à gages, le jeune homme est constamment menacé et n’hésite pas à sortir son revolver pour des motifs plus ou moins légitimes !
Le personnage principal du film, c’est Medellin, ville tentaculaire où la violence est à chaque coin de rue. Schroeder prend le pouls de cette ville où dès leur plus jeune âge, les garçons ont un flingue dans les mains et n’hésitent pas à s’en servir en toute impunité. Sans entrer dans le détail de ces guerres de gangs liées au trafic de cocaïne, le cinéaste en fait une toile de fond omniprésente et une épée de Damoclès qui menace constamment l’équilibre du couple formé par Fernando et Alexis. Pour ce film, Barbet Schroeder a choisi de tourner en vidéo HD. Ce choix esthétique lui permet d’accentuer la présence de cette ville puisque la profondeur de champ est particulièrement nette et permet de faire sentir constamment la réalité du « décor ». La Vierge des tueurs a beau être un film de « fiction », son ancrage « documentaire » fait tout son intérêt d’autant plus qu’on sent l’urgence derrière chaque plan et les risques réels qu’ont dû prendre le cinéaste et son équipe pour s’immerger complètement dans cette ambiance.
Paradoxalement, cette esthétique est aussi ce qui a le plus mal « vieilli » dans le film. Autant la HD permet d’avoir de la ville une vision impressionnante de réalisme brut, autant elle « aplanit » les plans et la profondeur de champ finit par « siphonner » l’avant-plan, à savoir l’histoire d’amour paradoxale entre Fernando et Alexis puis avec un autre micheton. De plus, Schroeder a parfois recours à des effets pas très heureux, notamment pendant les fusillades (ralentis), qui déréalisent le récit.
Reste que le fait de tourner à Medellin permet à Barbet Schroeder de revenir à ses obsessions puisqu’une fois de plus, il filme un univers où les notions de Bien et de Mal n’existent plus et où la Loi n’a plus la moindre importance (on tue pour une parole de travers ou pour un peu de bruit). Quand tous ces repères ont disparu, il reste le jeu. Jeu dangereux que joue Fernando, impénitent Don Juan qui s’entiche des adolescents qui passent à sa portée. Jeu contre Dieu auquel l’écrivain ne croit pas. Avec Alexis, il se rend souvent à l’église pour prier cette fameuse « vierge des tueurs ». Il y va aussi, dit-il, pour entendre le silence de Dieu. Tout le film est traversé par cette idée que Dieu a déserté les rues de Medellin et qu’il ne reste désormais plus qu’à inventer de nouvelles règles par-delà le Bien et le Mal.
Règles dangereuses puisque Alexis y laissera sa peau tandis que Fernando, à l’instar d’un metteur en scène capable de redonner vie à ses « modèles », s’amourachera d’un jeune homme qui se révèlera être le tueur de son amant. On retrouve alors le thème du « double » cher à Schroeder (Calculs meurtriers, JF partagerait appartement) mais traité ici hors des conventions du thriller.
Sans être totalement convainquant d’un point de vue esthétique, le film reste très impressionnant et s’inscrit pleinement dans la filmographie vraiment passionnante du cinéaste.
NB :
The Charles Bukowski tapes (1984)
En guise de cerise sur le gâteau de ce coffret DVD, les 3h30 que Barbet Schroeder a consacré à Charles Bukowski : entretiens qui finiront par déboucher sur une collaboration entre l’écrivain et le cinéaste en 1987 avec Barfly. Il s’agit ici de 50 courts entretiens (entre 4 et 5 minutes chacun) que Schroeder qualifie désormais de « collection d’aphorismes ». Bukowski y parle de son enfance douloureuse (un père violent qui le battait), de son rapport au travail, à l’écriture mais également aux femmes et à l’alcool.
Bukowski, qui n’hésite pas à jouer la carte de la provocation lorsqu’il se qualifie de génie du 20ème siècle à l’instar…d’Amin Dada et Hitler ( !), est un personnage qui ne dénote aucunement dans la galerie des « monstres » de Schroeder. Se situant dans un univers en marge de la morale traditionnelle (il hait le travail, la famille et la patrie), il invite Schroeder à une partie de ping-pong dont il détient les règles. Le jeu est parfois dangereux, à l’image de ce moment très perturbant où il se trouve avec sa compagne, commence à lui reprocher de sortir tous les soirs et finit par la frapper tandis que le cinéaste crie qu’il arrête la caméra… D’un autre côté, il révèle parfois un visage bouleversant, celui de l’enfant à jamais blessé qui a connu la misère la plus noire et qui a pu se sauver grâce à la littérature et l’alcool (il est constamment avec un verre de vin ou une bouteille de bière à la main). La forme est un peu ingrate (une image vidéo passée des années 80) mais l’ensemble constitue un document rare et précieux.