Hitchcock et Warhol sur scène
Warhol. Hitchcock (1974) (Marest éditeur, 2016)
Pour qui s’est plongé dans les deux recueils d’écrits d’Alfred Hitchcock récemment publiés chez Marest Editeur (1) (une toute nouvelle maison d’édition qui est déjà parvenue à se distinguer par la qualité de son catalogue), Warhol.Hitchcok apparait comme un codicille idéal.
En 1974, Andy Warhol retrouve Alfred Hitchcock au Park Lane Hotel à New-York pour discuter. Le livre est une retranscription de cette rencontre au sommet. Son grand intérêt, c’est qu’il ne se présente pas comme une interview classique mais comme une véritable pièce de théâtre (ce sont les propres mots de Warhol). Au départ, Hitchcock répond traditionnellement aux questions d’un journaliste, élisant L’Ombre d’un doute comme son film préféré parmi ceux qu’il a réalisés et donnant son avis sur la représentation du nu à l’écran (pour la première fois, le maître avait osé filmer des seins nus dans Frenzy). Puis Warhol fait son apparition et s’exclame :
« C’est la plus belle pièce de théâtre que j’aie jamais vue. C’est tellement beau de voir Central Park en toile de fond et vos deux profils se découper sur la baie vitrée. C’est formidable. Vous ne devriez pas arrêter. »
Dès cet instant, on comprend que c’est moins la teneur des propos qui intéressera dans cette rencontre (même si certains sont très intéressants) que leur mise en scène. Warhol entre en scène et le lecteur aura droit, comme dans une pièce de théâtre, aux didascalies et à la scénographie. A titre d’exemple, nous voyons à un moment donné Alma – la femme d’Hitchcock – sortir de scène pour aller faire quelques courses. Une note précise alors, entre parenthèses : « AH entraine sa femme dans le coin et joue une scène de comédie où il fait semblant de compter l’argent qu’il lui donne ».
Alors bien sûr, il sera ensuite question de cinéma, des acteurs, du MacGuffin, de Jack l’éventreur et de la violence (à cette époque, Warhol venait de se faire tirer dessus par Valérie Solanas) mais ce n’est finalement pas ce qui reste en mémoire dans cette rencontre. Ce que le lecteur retient, c’est la confrontation des deux artistes du 20ème siècle qui eurent le plus conscience de la puissance médiatique et de la manière de l’utiliser. A leur manière, Warhol et Hitchcock furent des « publicitaires » maîtrisant à la perfection leur image et capables de détourner à leur profit les règles du spectacle.
Lorsqu’il pose en photo à genou devant Hitchcock, Warhol se met dans la peau du disciple enamouré tandis que le cinéaste s’accommode avec sa goguenardise proverbiale de son rôle de « maître ». Tous les deux ont conscience de jouer un rôle et ils sont parfaitement à l’aise dans cette petite pièce précisément mise en scène.
Avant celles entre Duras et Godard ou Werner Schroeter et Michel Foucault, cette rencontre entre un artiste et un immense cinéaste permet de contourner l’exercice classique de l’entretien pour l’emmener vers une réflexion sur le statut de l’artiste et son image, sur la nature même de l’art à l’heure de la toute-puissance des médias et de la société de consommation (Warhol et Hitchcock ont très vite eu conscience qu’ils étaient des sortes de « marque déposée »).
C’est donc avec beaucoup d’intérêt qu’on revivra cette rencontre entre deux géants de la mise en scène, acteurs parfaits d’une pièce savamment construite et qui en dit long sur l’évolution de l’art à l’heure des mass-médias.