La Dixième victime (1965) d’Elio Petri avec Marcello Mastroianni, Ursula Andress, Elsa Martinelli (Edition Carlotta films) Sortie en BR et DVD le 12 juillet 2017

Les chasseurs

Elio Petri est resté dans la mémoire des cinéphiles pour ses films « dossiers » comme Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon et La Classe ouvrière va au paradis (palme d’or à Cannes en 1971). Même si j’ai envie de les revoir pour éventuellement les réévaluer, je dois reconnaître que ce cinéma de bonne conscience de gauche n’est pas vraiment ma tasse de thé (pas plus que celui de Rosi, de Boisset ou de Tavernier).

En revanche, j’avais découvert avec beaucoup de plaisir son premier film L’Assassin, une comédie très noire, et La Dixième victime est aussi un film assez étonnant. Adapté d’un roman de Robert Scheckley, le film relève à la fois de la satire futuriste et de la science-fiction. Dans un futur proche (selon la formule consacrée !), un nouveau jeu a été mis en place au niveau mondial. Appelé « la grande chasse », son principe est simple : un chasseur et une victime sont désignés au hasard et doivent s’entretuer. Mais alors que le chasseur connaît tout de sa proie (son identité, l’endroit où elle habite), la victime ignore tout de lui. Parvenir à survivre à dix chasses permet au vainqueur de bénéficier d’un pécule impressionnant qui lui permettra de couler des jours tranquilles jusqu’à la fin de sa vie. Caroline Meredith (Ursula Andress) en est à sa 9ème victoire et elle devra affronter le beau Marcello (Mastroianni)…

Le début du récit est tout à fait étonnant dans la mesure où Petri parvient avec peu de moyens à recréer un univers futuriste tout à fait plausible. Jouant à merveille sur de somptueux décors naturels, qu’ils évoquent des souvenirs intemporels (les antiquités romaines) ou des paysages industriels (de grands buildings déshumanisés), le cinéaste nous plonge dans un univers auquel on adhère immédiatement. Dans la mesure où le film a plus de 50 ans, on peut désormais parler de « rétro-futurisme » (les ordinateurs à la Alphaville, les téléphones design…) mais ce côté « pop » donne un indéniable charme à l’ensemble (je défie quiconque de rester insensible aux tenues d’Ursula Andress !)

La mise en scène est au diapason : Petri joue avec finesse avec ses courtes focales qui lui permettent de créer des perspectives immenses, de mettre en valeur son décor dans la profondeur de champ. De la même manière, avec de simples objets ou présences insolites (des saxophonistes), il parvient à donner une puissance à ses plans, une étrange familiarité.

En choisissant l’anticipation, on se doute que le cinéaste cherche à nous parler de son époque et à poser un regard satirique sur le monde tel qu’il va. En ce sens, La Dixième victime annonce des films comme Le Prix du danger de Boisset ou La Mort en direct de Tavernier mais en moins moralisateur. Quelques années avant Orange mécanique, Petri montre les dangers d’un état mondial se piquant de réguler la violence individuelle en l’organisant. Il souligne également le rôle « carnivore » des médias, avides de sensations de plus en plus fortes et de chair fraîche. Plutôt que d’exécuter directement sa victime (ce qui aurait, il faut en convenir, considérablement raccourci le film !), Caroline choisit de le séduire et de le mettre à mort selon une certaine « scénographie » étudiée pour être diffusée à la télévision.  

Ce jeu de séduction va devenir peu à peu l’enjeu de tout le film puisque le spectateur va sans cesse se demander si les sentiments qui semblent naître entre eux sont sincères ou calculés. Petri bifurque alors du côté de la comédie romantique et un tantinet cynique. S’appuyant sur l’abattage de ses comédiens, il s’intéresse alors à leurs élans amoureux. Difficile de résister à la beauté volcanique d’Ursula Andress qui aborde son rôle avec suffisamment d’autodérision pour qu’on succombe. Quant à Mastroianni, il arbore ici une étrange coiffure blonde peroxydée et peaufine son personnage de séducteur miné par les doutes d’une virilité en crise. On pense beaucoup à l’excellent essai que Claire Micallef a consacré à l’acteur puisqu’on voit ici ses deux visages : à la fois la quintessence du séducteur italien immortalisé par La Dolce Vita et celui d’un homme fatigué, qui ne sait plus comment se débarrasser de ses femmes (l’officielle et la maîtresse) et à qui Caroline conseille de prendre « des cours d’érotisme » !

A travers ce personnage, c’est toute une image d’une société patriarcale qu’interroge Petri. Malheureusement, le côté « comédie de mœurs » finit par affaiblir la dimension « futuriste » du projet. Si le cinéaste prouve qu’il filme très bien les scènes d’action (certaines scènes de fusillades sont tournées comme celles d’un western), il se perd un peu dans les méandres de multiples rebondissements finaux.

Mais à cette petite réserve près, La Dixième victime est une œuvre atypique, fort bien tenue et qui mérite d’être (re)découverte.

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