Pouvoir et impunité
Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970) d’Elio Petri avec Gian-Maria Volonte, Florida Bolkan (Editions Carlotta Films) Sortie en BR et DVD le 12 juillet 2017
Cette étude au vitriol des mécanismes du Pouvoir et de l’impunité dont jouissent ceux qui l’exercent reste sans doute l’œuvre la plus célèbre d’Elio Petri. Pour ma part, j’en avais gardé un (vague) mauvais souvenir, associant immédiatement le nom du cinéaste à l’idée d’un cinéma démonstratif et lourd. Or si c’est peut-être toujours valable pour La Classe ouvrière va au paradis (que je n’ai pas revu), Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon évite la plupart du temps ce travers en se concentrant essentiellement sur un seul personnage : Gian-Maria Volonte qui incarne ici un ancien chef de la section criminelle promu chef de la section politique.
Le film débute presque comme un giallo avec cet homme rustre et inquiétant qui tue froidement sa maîtresse (Florinda Bolkan) tout en semant à dessein les preuves de sa culpabilité. La mise en scène est sèche et tendue comme celle d’un thriller qui explore à la façon d’un puzzle les rapports troubles liant cet homme et cette femme. Avec une certaine habileté, le cinéaste dresse le portrait un individu ayant pleinement conscience de son pouvoir et qui défie constamment les règles en vigueur pour asseoir sa toute-puissance. Alors qu’il pourrait chercher à dissimuler cette affaire de meurtre, il la relance sans arrêt en avançant des preuves de sa culpabilité. Mais comme un « surhomme » Nietzschéen de pacotille, il sait que son statut social lui assure une impunité totale et qu’il se situe « par-delà le Bien et le Mal ».
Ce qui obsède Petri, c’est comme dans La Dixième victime, la vision d’un Pouvoir sans contrepartie et du contrôle absolu qu’il exerce sur l’individu. En passant de la section criminelle à la section politique, « l’inspecteur » entend ficher tous les éléments contestataires et faire passer les « crimes » politiques pour des délits de droit commun. Le cinéaste, à travers ce personnage, offre une vision assez convaincante de l’Italie de l’après 68 et de la « stratégie de la tension » (le cheminot anarchiste Pinelli est mort l’année précédente). Cette dénonciation en bonne et due forme possède à la fois une certaine force et constitue la limite d’un film qui semble parfois un peu outré ou trop démonstratif. Lorsque notre « citoyen » se dénonce clairement, avoue tout et expose tous ses faits et gestes, tout son entourage le convainc du contraire et l’innocente. On se croirait presque dans Juste avant la nuit de Chabrol où Michel Bouquet veut se dénoncer pour un crime mais se voit constamment dissuadé par ses proches.
Finalement, c’est la dimension quasi-policière du film qui séduit le plus. Non pas tant l’enquête en elle-même (le spectateur sait immédiatement de quoi il en retourne) que les raisons de ce crime (pas aussi gratuit qu’il en a l’air au départ) et les mécanismes psychologiques qui l’ont motivé. Le récit est porté par un Gian-Maria Volonte assez grandiose, entre mégalomanie insupportable et une sorte d’impuissance qui fait le nid de tous les fascismes (Cf. W.Reich). Le film adopte son rythme, parfois frénétique et porté par une hystérie inquiétante, notamment dans la violence des discours qu’il tient contre les opposants politiques ; parfois plus maladif et inquiet, comme si sa trajectoire avait quelque chose de suicidaire.
Au bout du compte, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon dresse un panorama assez effrayant d’un système social qui se drape derrière les oripeaux d’un Ordre à défendre coûte que coûte, quitte à contrôler les moindres faits et gestes des individus et à transgresser les lois pour ça. Petri montre que « l’anarchie » au sens péjoratif du terme (celui d’un monde sans règle ni loi livré au chaos) se situe davantage du côté de ceux qui disposent du pouvoir et qui peuvent tout se permettre que de ceux qui contestent l’ordre établi (les mouvements contestataires, la jeunesse politisé…)
Le cynisme des scènes finales laisse un goût amer dans la bouche d’un spectateur sonné…