Une heure avant l'apocalypse
Miracle Mile (1988) de Steve de Jarnatt avec Anthony Edwards, Mare Winningham. (Editions Blaq Out) Sortie en DVD/BR le 13 novembre 2017
Etonnante destinée que celle de ce film, deuxième et dernier long-métrage d’un cinéaste qui réalisera essentiellement par la suite des épisodes de séries télé (notamment deux pour Urgences). Présenté à Avoriaz en 1990, Miracle Mile fut par la suite complètement (ou presque) oublié avant sa sortie en DVD aux Etats-Unis et une ressortie en salles en France qui valut au film une excellente critique dans Les Cahiers du cinéma (entre autres).
Disons-le d’emblée, cette redécouverte est parfaitement justifiée tans Miracle Mile s’avère être un petit bijou qui tire parfaitement partie de son postulat astucieux.
Au départ, on peut avoir quelques réticences tant le film fleure bon ( ?) les années 80 : les clichés de la comédie romantique (quand Harry rencontre Julie, il sait immédiatement que c’est la femme de sa vie), la coupe mulet de Mare Winningham, la musique synthétique et atmosphérique de Tangerine Dream… Mais très vite, Miracle Mile change de tonalité pour se transformer en une excellente série B paranoïaque.
Alors qu’il devait retrouver Julie à la sortie de son travail, Harry manque le rendez-vous (son réveil n’a pas sonné). Il se retrouve à 4 heures du matin dans le quartier de Miracle Mile où végète une faune pittoresque (un travesti, une hôtesse de l’air, le patron du café, une serveuse trop maquillée…). Soudain, le jeune homme reçoit un étrange coup de fil qui ne lui était pas destiné. Une voix affolée lui annonce une imminente attaque de missiles nucléaires… Harry n’a désormais plus qu’une heure pour retrouver Julie et se rendre à l’aéroport le plus proche pour échapper à l’apocalypse en cours…
C’est peu dire que le cinéma a toujours aimé affronter la question de l’apocalypse nucléaire. Certains films ont choisi de montrer la situation après la catastrophe (du Jour où la terre s’arrêta de Robert Wise à Je suis une légende en passant par Malevil) tandis que d’autres jouent sur la menace imminente et vont mettre en scène des héros capables (ou pas) de l’enrayer.
L’originalité de Miracle Mile tient à sa manière d’évacuer tout héroïsme et de nous proposer un récit de survie haletant. En n’offrant à ses personnages qu’une heure pour évacuer, Steve de Jarnatt nous propose un film se déroulant quasiment « en temps réel » et colle aux basques de son personnage principal (Harry) pour créer une tension permanente. Il y a un petit côté After Hours dans ce film qui tourne à la nuit de cauchemar. Mais ce que parvient à rendre merveilleusement bien le cinéaste, c’est le changement de perception qu’induit obligatoirement une menace de fin imminente. Généralement, au cinéma, les personnages agissent comme il le ferait habituellement : sans doute avec un peu plus d’inquiétude mais leurs comportements ne sont pas réellement modifiés. Ici, tout prend une autre perspective. Après une esquisse d’organisation entre survivants qui connaissent la nouvelle, c’est le règne du chacun pour soi qui adviendra. Du coup, tous les rapports entre individus sont modifiés : on n’hésite plus à braquer son arme sur l’autre pour obtenir ce que l’on veut sans parler des séquences finales glaçantes (mais je n’en dirai rien !). Dans une jolie scène, Steve de Jarnatt montre la réconciliation entre un vieux couple qui ne s’était pas parlé depuis 15 ans. Ce qui pourrait paraître purement anecdotique dit quelque chose de la vérité du film : sa manière de modifier légèrement la perception des choses lorsque la conscience que tout finira devient prégnante. L’intelligence du cinéaste, c’est que son postulat de départ est à la fois évident (nous finirons tous par disparaître) et hypothétique (Harry pourrait n’avoir été que la victime d’une blague de mauvais goût). Il ne se passe absolument rien dans le décor habituel des personnages mais, pourtant, quelque chose a irrémédiablement changé. La mise en scène de Steve de Jarnatt parvient très habilement à rendre cet environnement à la fois familier et inquiétant. Sa vision du quartier de Miracle Mile (à Los Angeles), désert à cette heure de la nuit, est particulièrement réussie.
Entre le petit café où demeure le petit groupe de noctambules du début jusqu’à la terrasse d’un gratte-ciel d’où doit décoller un hélicoptère providentiel, le cinéaste aura, avec une économie de moyens remarquable, donné une grande puissance expressive à une simple station-service, à quelques rues désertes et une résidence high-tech.
Il y a un petit côté John Carpenter dans Miracle Mile : une vision pessimiste d’un monde courant à sa perte et où chacun lutte pour sa propre survie. Plus l’heure tourne et plus les événements se précipitent avec un sens certain du crescendo. Là encore, de Jarnatt n’a pas besoin de sortir les grands moyens pour créer une vision particulièrement convaincante de la panique s’emparant de l’humanité menacée. Avec très peu d’éléments et un sens du montage et du découpage parfait, il parvient à donner une image parfaitement crédible et effrayante de la fin des temps.
Ajoutez à cela la musique de Tangerine Dream qui donne au film une tonalité de rêve éveillé (de cauchemar, plutôt) et qui accentue le caractère fluctuant et flou de notre perception des événements et on aura compris que Miracle Mile est une petite merveille qu’il faut découvrir, selon la formule consacrée, toutes affaires cessantes…
Bonus :
Les éditions Blaq Out ont bien fait les choses en nous offrant de nombreux suppléments au film : entretiens avec le réalisateur, les comédiens, scènes alternatives… Un seul regret : les deux courts-métrages de Steve de Jarnatt proposés ici (dont Tarzana avec Eddie Constantine !) ne sont pas sous-titrés…