Une vie de cinéaste
A Fuller Life (2013) de Samantha Fuller avec William Friedkin, James Franco, Joe Dante, Monte Hellman, Wim Wenders, Constance Towers. (Editions Carlotta Films) Sortie en DVD le 3 janvier 2018
Pour se mettre au diapason de la grande rétrospective Samuel Fuller qui débutera à la Cinémathèque du 3 janvier au 15 février 2018, les éditions Carlotta nous proposent un intéressant documentaire consacré au cinéaste. Le film a été réalisé par la fille de l’auteur de Shock Corridor et Le Port de la drogue mais plutôt que d’opter pour un parti-pris classique (témoignages, analyses de spécialistes, extraits…), Samantha Fuller invite ici une quinzaine de personnalités à lire le récit autobiographique de son père.
On imagine d’emblée l’écueil de ce type de projet : se reposer sur les « stars » invitées (James Franco, Mark Hamill qui fut l’un des héros de The Big Red One ou encore Jennifer Beals qui tourna dans un téléfilm de Fuller : La Madone et le dragon) et se contenter d’illustrer les écrits lus. A Fuller Life n’évite pas totalement l’écueil à certains moments mais se révèle pourtant assez passionnant.
Tout d’abord parce que les écrits de Fuller sont vraiment captivants et disent quelque chose de l’Amérique de la deuxième moitié du 20ème siècle. Le cinéaste débute comme grouillot (il distribue des journaux à la criée) et va peu à peu gravir toutes les échelles du journalisme. Au moment de Pearl Harbour, il s’engage dans l’armée et sera marqué à vie par la guerre et ses atrocités. Quelques évocations du champ de bataille font froid dans le dos et on imagine que l’artiste a, par la suite, tenté d’exprimer sur grand écran des sensations absolument intraduisibles qu’il a vécues.
Ensuite parce que le film nous propose un montage très astucieux, entre les extraits des longs-métrages du cinéaste et ses films en 16mm qu’il a tournés pour ses propres archives (notamment pendant la guerre). Si certains passages peuvent paraître un tantinet illustratifs, d’autres entre immédiatement en résonnances avec les mots entendus. On réalise à quel point l’œuvre de Fuller est totalement irriguée par sa propre existence. Les extraits de l’excellent Violence à Park Row prennent une autre dimension lorsqu’on en apprend plus sur les années de journalisme de Fuller. De la même manière, les passages sélectionnés de The Big Red one, Les Maraudeurs attaquent ou J’ai vécu l’enfer de Corée prennent une vraie ampleur au regard de son expérience de soldat qu’il narre par le menu.
Si ce corpus d’extraits paraît presque trop évident, la réalisatrice a le talent de soudain revenir sur un détail d’un film comme Shock Corridor ou La Maison de bambou pour en révéler la dimension autobiographique.
Enfin, Samantha Fuller a réuni un « casting » hétéroclite et intelligent, entre ceux qui ont tourné pour Fuller (plaisir de revoir l’inoubliable héroïne de The Naked Kiss Constance Towers), ceux qui l’ont fait tourner comme acteur (Wim Wenders, cigare au bec pour l’hommage) et ceux qui ont été marqué à jamais par le cinéma du grand Sam (Joe Dante, Monte Hellman, William Friedkin…). Les « lectures » sont toutes habitées et laissent transparaître le lien privilégié de chacun au cinéaste.
Au bout du compte, A Fuller life possède un mérite qui emporte toutes les réserves : il donne une furieuse envie de revoir toute l’œuvre de ce grand cinéaste que fut Samuel Fuller. Les parisiens ne passeront donc pas passer l’occasion qui leur est donnée ! (les provinciaux comme moi n’auront que leurs yeux pour pleurer…)