Sur deux Hitchcock mineurs
La Maison du docteur Edwardes (1945) d’Alfred Hitchcock avec Ingrid Bergman, Gregory Peck
Le Procès Paradine (1949) d’Alfred Hitchcock avec Alida Valli, Gregory Peck, Charles Laughton, Louis Jourdan
(Editions Carlotta Films). En coffret ultra collector depuis le 22 novembre 2017
Comme je le disais dans ma note consacrée à ce beau coffret Hitchcock, les quatre films correspondant aux années Selznick du cinéaste sont inégaux puisqu’à côté d’un chef-d’œuvre absolu (Les Enchaînés), nous trouvons un grand film gothique (Rebecca) et deux œuvres mineures dont il va être question maintenant.
Spellbound (La Maison du docteur Edwardes) se déroule principalement dans un établissement psychiatrique où un vieux médecin doit être remplacé par le docteur Edwardes, un jeune confrère plein d’ambition. Une fois installé, il s’avère que ce jeune homme (G.Peck) n’est pas médecin mais un amnésique soupçonné d’avoir fait disparaître le véritable Edwardes. Sa collègue, le docteur Constance Petersen (Ingrid Bergman) va tenter de l’aider à retrouver sa véritable identité et, bien entendu, va en tomber amoureuse…
Le film est resté dans les mémoires essentiellement pour sa scène de rêve concoctée par Dali et qui reste, encore aujourd’hui, le meilleur moment du film puisqu’il déborde à cet instant de son cours un peu pépère. Une chose passionne néanmoins : cette idée de traiter l’analyse psychanalytique comme une véritable enquête policière. Découvrir le traumatisme qui rend amnésique J.B (le véritable patronyme du faux Edwardes) équivaut ici à recueillir des indices pour découvrir le coupable d’un meurtre. A un moment donné, les deux chemins (celui de l’analyse et de l’enquête) se croisent et l’on soupçonne le jeune homme d’avoir éliminé son prédécesseur.
Mais si le film déçoit un petit peu, c’est que la psychanalyse (de Vertigo à Marnie en passant par Psychose, entre autres) irrigue tous les films d’Hitchcock et qu’en la traitant ici de front, il se révèle un peu plus pataud que d’habitude. Alors bien sûr, il y a de beaux moments comme cet instant où le cinéaste filme l’ouverture de nombreuses portes donnant sur un immense couloir, symbole de cette exploration des arcanes de la psyché qu’il entend explorer. Mais le conduite du récit s’avère ensuite assez classique, pas désagréable pour un sou (un film mineur d’Hitchcock reste supérieur à 80% de tout ce qui se fait par ailleurs) mais manquant un peu de personnalité. On y retrouve aussi la thématique chère au cinéaste du faux-coupable mais enrobée dans une croûte psychanalytique un peu trop voyante (le traumatisme enfantin, le refoulé…)
Bref, Spellbound se laisse voir mais ne compte pas parmi les œuvres importantes du « maître du suspense ».
On peut réitérer cet avis en abordant Le Procès Paradine, fruit de la dernière collaboration entre Hitchcock et le grand producteur David O. Selznick. Comme son titre français l’indique, il s’agit d’un film de procès où un impétueux avocat (Gregory Peck, toujours) cherche à faire acquitter une jolie veuve (Alida Valli) soupçonnée d’avoir tué son riche mari aveugle…
Dans ses entretiens avec Truffaut, Hitchcock regrette les erreurs de casting de son film. Tout d’abord Gregory Peck, peu crédible en avocat britannique (« car un avocat britannique est un homme très éduqué et qui appartient aux classes supérieures ») et surtout Louis Jourdan (« la pire erreur de distribution »). Et il faut bien reconnaître que ce dernier, aussi expressif que Ryan Gosling, a le charisme d’un topinambour !
En revanche, même si Gregory Peck n’est pas un très grand acteur, je trouve (contrairement à Truffaut) qu’ici et dans Spellbound, il incarne une sorte de quintessence de la silhouette masculine hitchcockienne, sorte de grande tige dégingandée et parfois hagarde face aux événements qui le dépassent. Il a parfois des expressions qu’auront Anthony Perkins dans Psychose ou James Stewart dans Vertigo. Et c’est, à mon sens, ce qui fait aussi l’intérêt du Procès Paradine. En tant qu’œuvre à part entière, il n’est guère passionnant (il faut bien l’avouer !) : peu de suspense, un poil trop long, souvent bavard… En revanche, si on l’aborde comme une pièce de l’immense puzzle que constitue l’œuvre d’Hitchcock, on remarque qu’il a toute sa place (aussi mineure soit-elle).
Une des plus belles scènes du film est celle où Grégory Peck se rend dans la luxueuse propriété Paradine pour enquêter sur le passé de sa cliente et de son riche mari. La manière dont Hitchcock filme ce décor renvoie immédiatement à Rebecca et à la découverte de la propriété de Manderley. En explorant la chambre de madame Paradine, il tombe en arrêt devant un immense portrait peint sur le montant de son lit et semble fasciné par cette image comme James Stewart le sera par l’image de Carlotta dans Vertigo.
C’est cette dimension un peu maladive qui fait l’intérêt du Procès Paradine : non pas tant le déroulé assez classique de la procédure mais la manière dont l’avocat tombe amoureux de sa cliente et se laisse envoûter par une fausse image. Contrairement aux nombreux faux-coupables qui peuplent le cinéma d’Hitchcock, madame Paradine est une fausse innocente qui parvient à berner l’homme qui la défend. C’est dans ce rapport entre la glaciale Alida Valli (qui a déjà quelque chose de l’inflexible directrice de Suspiria) et un avocat qui remet toute son existence en jeu que se jouent en sourdine les enjeux les plus intéressants du film.
On ne recommandera donc pas aux néophytes (mais en existe-t-il encore lorsqu’il s’agit d’Hitchcock ?) de débuter par ces deux films. En revanche, pour les admirateurs du maître, ces deux œuvres mineures possèdent suffisamment de qualités pour pouvoir donner du grain à moudre et enrichir notre regard sur son incontournable filmographie…