L’Enfer des zombies (1979) de Lucio Fulci avec Tisa Farrow, Richard Johnson. (Editions Artus Films)

Histoire de l'oeil

Pour leur première combinaison Blu-ray/ DVD, les éditions Artus ont mis les petits plats dans les grands et ont choisi un incontournable du cinéma d’horreur : L’Enfer des zombies. Outre une très belle copie du film qui rend justice à la photo de Sergio Salvati et de très instructifs suppléments (Lionel Grenier, spécialiste du cinéaste, revient sur la genèse de l’œuvre, Alain Petit se remémore la diffusion du film sur Canal + et l’on peut entendre à la fois le scénariste du film – Dardano Saccheti- et le concepteur des étonnants effets-spéciaux Maurizio Trani), il convient de signaler que l’objet est superbe puisqu’il s’agit d’un véritable livre où d’excellents intervenants (Gilles Vannier, David Didelot, Didier Lefèvre, sous la direction de Lionel Grenier) font une synthèse remarquable de l’œuvre de Fulci en revenant sur la place de L’enfer des zombies dans celle-ci et les répercussions que ce film a pu avoir sur le « bis » italien.

Difficile de passer après ces éminents spécialistes, d’autant plus que les films « gore » de Fulci sont sans doute ceux qui ont été les plus commentés par les amateurs de cinéma horrifique. Nous risquons donc d’enfoncer quelques portes ouvertes mais commençons par l’évidence : le rôle décisif du Zombie de Romero. On sait que ce film bénéficia d’une version "européenne" supervisée par Dario Argento et que tout le cinéma bis italien allait s’engouffrer par la suite dans la brèche ouverte par cette relecture contemporaine du mythe du mort-vivant.

Fulci fut celui qui sut le mieux s’en emparer pour nous en proposer une lecture très personnelle. Car si certains aspects sont bel et bien empruntés à Romero (la démarche instable et funambulesque des zombies, les exactions sanglantes jusqu’à la tête qui explose), le cinéaste italien va se réapproprier ces motifs pour débuter une saga sanglante qui a fait date dans l’histoire du septième art (pas seulement le cinéma d’horreur) avec Frayeurs et L’Au-delà.

Le scénario est plutôt banal : un bateau abandonné dérive dans le port de New-York. Lorsque les garde-côtes tentent d’intervenir, ils se font agresser par une créature monstrueuse. Pensant qu’il s’agit du voilier de son père disparu, Anne s’embarque pour les Caraïbes avec un journaliste et un couple de matelots. Ils arrivent sur une île réputée maudite où, suite à des expériences liées au vaudou, les morts peuvent revenir à la vie pour dévorer les vivants…

Contrairement à ses « gialli », les films d’horreur de Fulci ne brillent pas par leurs scénarios ni par la robustesse du récit. Privilégiant une certaine esthétique macabre, le cinéaste se plait à instaurer par petites touches une atmosphère oppressante et putride. Pour essayer de saisir la teneur du film, il faudrait se pencher sur l’une de ses scènes les plus célèbres. Il s’agit de ce passage où une femme se fait surprendre par un zombie alors qu’elle est sous la douche (passage obligé pour le cinéma d’horreur depuis Hitchcock !), qu’elle essaie de se barricader avant de se faire violemment énucléer (un gros éclat de boiserie qui lui crève l’œil en gros plan).

Si la scène est aussi saisissante, c’est à la fois par l’incroyable réalisme d’effets-spéciaux toujours aussi impressionnants près de 40 ans après mais également parce que Fulci s’attaque à l’organe le plus sensible pour le spectateur de cinéma : l’œil (on retrouvera d’ailleurs des scènes similaires dans Frayeurs et L’Au-delà). On songe évidemment à Buñuel et son Chien andalou même si chez le surréaliste, la scène était moins là pour dégoûter que pour choquer le spectateur et l’inviter à lui ouvrir les yeux d’une autre manière.

Chez Fulci, cet outrage tient à une certaine culpabilité chrétienne que l’on trouve aussi chez Hitchcock : celui qui jouit par le regard (pas étonnant que ce moment arrive après une scène de douche) sera puni par le regard. Mais à la différence d’Hitchcock plaçant le spectateur dans la position de témoin impuissant dans Fenêtre sur cour, Fulci abolit la distance et attaque frontalement un œil qui renvoie immédiatement à celui du spectateur qui profite du spectacle. L’horreur, chez Fulci, sera moins «politique » que chez Romero mais presque plus frontale : pas de métaphore mais une volonté d’ « agresser » (pour le coup, au sens métaphorique !) l’œil du spectateur et provoquer un sentiment d’effroi inédit. Aucun second degré chez lui (ce qui est une très bonne chose) et un goût prononcé pour les visions les plus macabres imaginables : vermines grouillantes, membres arrachés, chairs putréfiées et corps éviscérés…

De ces tableaux morbides se dégage une vraie poésie sépulcrale qui contraste d’ailleurs avec le cadre paradisiaque des îles des Caraïbes (qui inspirera quelqu’un comme Joe D’Amato).

On peut éventuellement préférer des films comme Le Venin de la peur chez Fulci mais personne ne pourra nier que L’Enfer des zombies et les œuvres qui vont suivre auront donné à tout jamais un nouveau visage au cinéma d’horreur…

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