Le repaire des fantômes
La Légende de la montagne (1979) de King Hu avec Hsu Feng, Shih Chun, Sylvia Chang. (Editions Carlotta films). Disponible en BR et DVD depuis le 9 mai 2018
Après avoir tourné en Corée du sud le célèbre Raining in the Mountain, King Hu enchaine avec cette Légende de la montagne où l’on retrouve son actrice fétiche Hsu Feng. Maitre incontesté du « Wu Xia Pian » (films de sabre) et des arts martiaux, King Hu explore ici la voie du conte fantastique.
He Yun-Tsing est chargé par le monastère Haiying de recopier un canon bouddhiste permettant de libérer les âmes des défunts. Afin de s’isoler, il se rend à la montagne où il est accueilli par divers individus semblant s’intéresser de prêt à ce mystérieux canon…
Commençons par l’essentiel : à l’instar de Dragon Inn et d’A Touch of Zen (son chef-d’œuvre), La Légende de la montagne est une splendeur plastiquement parlant. Monastères bouddhiques, montagne majestueuse, cascades tumultueuses et végétation foisonnante : King Hu utilise à merveille ces décors et nous régale à chaque instant de son sens du cadre et de la profondeur de champ. La beauté visuelle du film n’est pas gratuite et chaque élément à sa propre importance, qu’il s’agisse de topographie (l’espace partagé entre les vivants et les morts) ou de métonymie. A ce titre, la scène d’amour entre le fidèle Shih Chun et la belle Hsu Feng est très réussie puisqu’aux très brefs plans de l’étreinte le cinéaste substitue de nombreux plans renvoyant métaphoriquement à l’acte sexuel : nénuphars, source, poissons visqueux et cascades…
Au travail sur l’image (avec notamment cette utilisation de caches colorés pour donner des ciels jaunes ou rouges) s’ajoute un formidable travail sur le son. Les spectres qui apparaissent régulièrement tout au long du récit mènent l’assaut au son de diverses percussions (tambours, tambourins…) et c’est par le son et ses distorsions que King Hu parvient lors de certaines séquences à accentuer le caractère fantastique du film.
La Légende de la montagne n’est effectivement pas un film d’arts martiaux. Si le film met parfois en scène quelques affrontements, ils se font toujours sans le moindre contact entre les belligérants. Il s’agit davantage de chorégraphies (avec des fantômes capables de défier les lois de l’apesanteur) que de démonstrations de force, ponctuées par des explosions de fumigènes colorés. En ce sens, et comme souvent chez King Hu, le film relève moins du « cinéma de genre » (si tant est que cette expression veuille dire quelque chose !) que de l’opéra chinois. Les combats sont réduits à quelques mouvements et à une sorte d’épure abstraite.
C’est d’ailleurs peut-être là que le bât blesse. Si la mise en scène est constamment inventive, elle se déploie sur la trame assez filandreuse d’un récit plutôt minimaliste et pas très intéressant. Une fois qu’on a compris le principe (divers spectres s’affrontent pour récupérer les bénéfices du canon), on peut trouver le film un peu répétitif dans sa structure. D’autre part, il est beaucoup, beaucoup trop long ! 3h12 pour une œuvre de la sorte, c’est s’exposer au risque que le spectateur décroche (ce fut mon cas et je dois avouer que mon esprit a parfois vagabondé pendant certains passages).
Bien sûr, on sait gré à King Hu de détourner les lois du genre et de mêler avec un certain brio des tonalités différentes (le comique bouffon – voir la manière empruntée qui caractérise le héros naïf lorsqu’il rencontre Hsu Feng- succédant à des moments fantastiques caractérisés par des apparitions/disparitions étranges). Mais avouons aussi que ce séjour dans un repaire de fantôme aurait mérité d’être plus resserré et porté par une ligne dramaturgique un peu plus forte…