De Palma (2015) de Noah Baumbach et Jake Paltrow (Editions Carlotta Films) Sortie en DVD le 6 juin 2018

La parole est à De Palma

D’une manière générale, nous jugeons les documentaires moins pour leur fond (ce qu’ils racontent) que sur leur forme. Le spectateur peut être attiré par certains sujets plus que d’autres (pas certain d’avoir une folle envie de regarder un documentaire sur la pêche à la palourde en Bretagne) mais un vrai point de vue de cinéaste peut souvent changer la donne. Qui, par exemple, aurait envie de passer 1h30 avec Valery Giscard d’Estaing ? Eh bien pourtant, Depardon est parvenu à tirer un film passionnant en tournant avec cette molle asperge.

Mais à toute règle, il existe une exception. Ainsi, avouons-le d’emblée, De Palma ne laissera pas la trace d’un documentaire inspiré d’un point de vue formel. Sa facture est même plutôt ingrate : le cinéaste parle face caméra et sa logorrhée est illustrée de manière très classique par des extraits de films et quelques documents d’archives (Spielberg appelant l’auteur de Carrie depuis sa voiture en 1976 pour lui souhaiter un bon « Thanksgiving »).

De la même manière, Baumbach et Paltrow ne se sont pas trop cassé la tête et nous proposent une approche chronologique de la carrière du cinéaste. Si ce parti pris leur permet d’aborder toutes les étapes du travail de De Palma, y compris les moins connues (ses premiers films), il se révèle parfois un peu frustrant, notamment lorsque les réalisateurs abordent les années 2000 qui sont beaucoup trop rapidement survolées. On se dit qu’une approche plus « thématique » aurait peut-être été plus judicieuse.

Ces réserves posées, et c’est là où je veux en venir lorsque je parle "d’exception", le portrait s’avère néanmoins passionnant. D’une part parce que la simple vue des extraits nous donne immédiatement envie de nous replonger dans toute l’œuvre de De Palma. De l’autre, parce que le cinéaste a la réputation d’être assez « difficile » en interview, de ne se livrer qu’avec parcimonie et de refuser toute interprétation pour se contenter d’une approche très pragmatique. Or devant la caméra de Baumbach et Paltrow, De Palma se révèle tout à fait détendu, tout sourire et parfois même hilare. Et il n’hésite pas à se confier, parfois de manière assez étonnante lorsqu’il évoque l’aspect « autobiographique » de Pulsions en avouant qu’il espionnait son père qui avait une maîtresse et prenait des photos pour le confondre, à l’image du jeune homme cherchant à retrouver l’assassin de sa mère dans le film.

En confiance, il s’arrête ici sur la signification d’un panoramique tandis que là, il revient en détail sur son usage du « split screen » et sa force (même s’il estime que ce procédé est incompatible avec les scènes « d’action » comme dans Carrie où il en a coupé un certain nombre).

Le documentaire débute par des images de Vertigo d’Hitchcock et c’est sous le patronage du « maître du suspense » que découle toute une œuvre hantée par l’image et ses sortilèges. De Palma évoque d’emblée le « romantisme cinéphile » ultime qui consiste à pouvoir faire revivre une deuxième fois une image morte. Mais avant de réaliser ses grands films « maniéristes », le cinéaste revient sur ses débuts, son amitié avec les cinéastes du « nouvel Hollywood » (Scorsese, Coppola, Spielberg…) et avec certains acteurs, notamment De Niro qu’il fait débuter dans son premier film.

Par la suite, le film tiendra un bon équilibre entre une certaine réflexion sur les œuvres, des considérations techniques et économiques et de nombreuses anecdotes parmi lesquelles on retiendra les tensions entre acteurs sur le tournage d’Outrages, quelques piques lancées à l’intention du scénariste de Mission impossible ou encore les difficultés de De Palma pour tourner Le Prince de New-York (finalement réalisé par Lumet) et qui, du coup, se lancera dans l’aventure de Scarface…que devait tourner Lumet !

De Palma évoque aussi sa collaboration avec les musiciens comme Bernard Hermann (avec une anecdote assez amusante que je vous laisse découvrir) ou Pino Donaggio.

Alors bien sûr, on aimerait une distance plus analytique et que quelqu’un tisse des liens entre les films, fasse émerger des idées, des thèmes, des motifs… Mais si on arrive à passer outre cette forme un peu terne (en étant méchant, nous dirions que c’est un bon bonus DVD), De Palma se révèle captivant parce qu’il donne à entendre la parole détendue d’un des plus grands cinéastes américain en activité…

Retour à l'accueil