Lettres d'amour aux Philippines
Cinq et la peau (1981) de Pierre Rissient avec Feodor Atkine, Eiko Matsuda (Editions Carlotta Films) Sortie en DVD/BR le 6 juin 2018
Pierre Rissient est mort quelques jours avant le début du festival de Cannes où était projetée la réédition de son deuxième et dernier long-métrage : Cinq et la peau. Grand cinéphile devant l’éternel, fondateur du fameux ciné-club du cinéma Mac-Mahon et infatigable découvreur de talents, notamment asiatiques ; c’est à Rissient que nous devons la découverte en France de cinéastes comme King Hu ou Lino Brocka. Ce dernier est d’ailleurs directement cité dans Cinq et la peau qui se déroule entièrement aux Philippines. Un homme, joué par Feodor Atkine, déambule dans les rues de Manille tandis que des voix-off nous font partager sa conscience, ses interrogations et sa quête…
Pierre Rissient signe ici un film qui ne ressemble à aucun autre. Cinéphile voyageur, il s’inscrit parfois dans les pas d’un Chris Marker pour ses faux documentaires où se mêlent évocation poétique, réflexions politiques, esthétiques, culturelles et voyage intérieur. On songe aussi à un film presque contemporain de celui-ci, les Lettres d’amour en Somalie de Frédéric Mitterrand même si Rissient est beaucoup moins « durassien ». Mais dans les deux cas, il s’agit d’intellectuels désabusés qui reviennent, dans un pays lointain, sur leur passé et évoquent avec nostalgie leurs amours défuntes.
La forme peut donc dérouter : aucun dialogue (mais de nombreuses voix-off), quelques bruits « diégétiques » (une sonnerie de téléphone, les gémissements d’une femme que le héros entend depuis sa chambre d’hôtel…) et un montage très habile qui mêle des plans quasi-documentaires (Atkine déambulant au cœur de Manille) et des images mentales (le surgissement magnifique d’une femme sur un manège) dont la répétition fait parfois penser à certaines œuvres de Resnais (Muriel ou le temps d’un retour).
Sans connaître précisément la vie de Pierre Rissient, on devine qu’il y a beaucoup de lui dans cette longue errance où sont convoqués les fantômes de deux as du fameux « carré » des Mac-Mahoniens : Lang et Walsh. La quête de son personnage est autant existentielle (se retrouver lui-même dans un pays radicalement étranger) qu’esthétique (sur la fin, Rissient se fait virulent contre une certaine uniformisation capitaliste du monde) et amoureuse. De ce point de vue, le film pourra choquer certains regards contemporains tant le personnage peut paraître parfois antipathique à l’égard des femmes qu’il croise. Néanmoins, dans ce rapport très désabusé au sexe et à l’amour, ses partenaires de dérive ne sont pas réifiées et l’on retrouve avec grand plaisir la fascinante héroïne de L’Empire des sens : Eiko Matsuda.
Rissient cherche à traduire un rapport extrêmement sensuel à un pays. Ce rapport passe par les corps, bien évidemment, mais également par les couleurs, les sons, les odeurs…
Tout au plus peut-on regretter le côté un peu trop prégnant de ces voix-off excessivement « poétiques ». Plutôt que de faire confiance à ses images (souvent très inspirées et parfaitement cadrées), le cinéaste en rajoute une louche avec une écriture que l’on pourra trouver un peu ampoulée à certains moments.
Reste une atmosphère langoureuse assez envoûtante, une quête effectuée dans une sorte de demi-sommeil, entre souvenirs et fantasmes, autobiographie et fiction. Une curiosité qui mérite le coup d’œil, donc…