Hello Happiness ! (2003 – 2016) de Marie Losier (Editions Re : Voir) Sortie en DVD : 4 juin 2018

L'art de la joie

Cinéaste d’origine française installée à New-York, Marie Losier a travaillé auprès de Mike et George Kuchar et l’on sent chez elle une influence de ces deux personnalités. Elle leur a d’ailleurs consacré à chacun un film : Electrocute Your Stars (2004) à George (qui apparaît en surimpression sous une douche) et Bird Bath and Beyond (2003) à Mike.

Dès ces deux films se dessinent déjà les caractéristiques de ce que sera le cinéma de Marie Losier : un goût pour le portrait, pour filmer ses sujets dans leur environnement et inventer des mises en scène exubérantes et colorées. Son cinéma est assez inclassable, naviguant entre le cinéma dit « expérimental », le « home movie », le portrait excentrique et la chorégraphie kitsch.

Le titre donné pour regrouper ces 10 courts-métrages qui sortent en DVD chez Re :Voir est particulièrement bien trouvé puisqu’il y a dans Hello Happiness ! un vrai appétit pour le bonheur, un goût pour le détournement joyeux des codes (beaucoup de ses films pastichent soit le cinéma muet, soit les grands genres musicaux comme le film d’épouvante ou la comédie musicale) et une certaine joie de vivre.

Que Marie Losier consacre un film à des cinéastes (les Kuchar), à un dramaturge (Richard Foreman dans The Ontological Cowboy (2005)), à un plasticien (Chong Gon Byun dans Byun, objet trouvé (2012)), un musicien (Alan Vega dans Alan Vega, Just a Million Dreams (2014)) ou encore trois sœurs catcheuses (Bim, Bam, Boom, Las Luchas Morenas ! (2014)), le dispositif est à la fois toujours assez similaire et, en même temps, original. Il s’agit de mettre en scène les personnes filmées dans leur environnement et d’inventer une mise en scène qui soulignera leur singularité et leur excentricité. Dans Bird, Bath and Beyond, Mike Kuchar apparaît dans des costumes animaliers et il est entouré d’oiseaux en papier. Dans Slap the Gondola (2010), deux hommes sont déguisés en sirènes et jouent de la musique pour attirer les poissons tandis que dans L’Oiseau de nuit (2016) la cinéaste consacre un film à un célèbre performer lisboète (vu chez Joào Pedro Rodrigues) se produisant généralement travesti en femme-poisson, femme-oiseau ou femme-lion.

C’est dans l’outrance et l’exubérance kitsch que le cinéma de Marie Losier se rapproche parfois des frères Kuchar (et qu’elle fait le lien avec quelqu’un comme Bertrand Mandico qui l’admire beaucoup) : travestissement, déguisements multiples, costumes excentriques… Dans Eat my Makeup ! (2005) les frères Kuchar (entre autres) dévorent des pâtisseries avant que tout ne se termine en gigantesque bataille de tartes à la crème digne de Laurel et Hardy. Hommage revendiqué au burlesque mais aussi muet avec le très beau et surréaliste Manuelle Labour (2007) où la cinéaste s’est acoquinée avec Guy Maddin pour filmer l’amour entre deux sœurs infirmières dont l’une accouche soudainement d’une…paire de mains.

Chez Marie Losier, le corps ne cesse de faire l’objet de transformations : on se déguise, on change de sexe ou d’espèce (voir les étranges créatures mi humaines, mi animales qui peuplent ses films) et est entraîné dans un ballet proche du surréalisme, à l’énergie souvent roborative. Il s’agit pour elle de rendre poreuses les frontières entre l’espace privé, l’intimité (Alan Vega filmé chez lui, au sein de sa famille) et un monde à reconquérir avec une certaine dose de folie qui tient à la fois des jeux de l’enfance (danser avec une tête de porc dans Bim, Bam, Boom, Las Luchas Morenas !) et du geste anarchiste.

Tous ces courts-métrages ne sont sans doute pas d’une valeur égale mais le cinéma de Marie Losier mérite assurément d’être découvert.

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