Les Marais de la haine (1974)  de Ferd et Berverly Sebastian avec Claudia Jennings

La Vengeance de la femme au serpent (1988) de Ferd et Berverly Sebastian avec Jan Sebastian

(Editions Artus Films) Sortie en DVD le 5 octobre 2018

 

© Artus Films

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Grâce au sublime essai de Maxime Lachaud (Redneck movies : ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain), nous avions découvert tout un continent inexploré du cinéma américain mettant en scène le Sud profond et la figure du « redneck ». Un des grands plaisirs des deux DVD édités avec beaucoup d’à-propos par Artus films, c’est de pouvoir à nouveau entendre l’auteur évoquer cette « Hicksploitation » (venant du mot « Hick » signifiant péquenaud) le temps de deux suppléments passionnants et très éclairants. Car le cinéma « redneck » ne se limite pas à d’obscures séries Z mais également à des œuvres phares comme Délivrance de John Boorman ou Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper. Maxime Lachaud voit dans ce cinéma une forme de « retour du refoulé », la figure du bouseux sudiste renvoyant à une certaine image d’une Amérique ayant voulu gommer les aspérités de son passé (le génocide indien) et mettre en sourdine les pulsions les plus primales.

Sans être de grands films, les deux Gator Bait (à savoir Les Marais de la haine et La Vengeance de la femme au serpent en nos francophones contrées) représentent un peu la quintessence de ce cinéma « redneck ». D’abord pour leurs paysages fascinants de bayous, leurs personnages bas du front et une certaine atmosphère poisseuse qui irrigue les deux œuvres.

Dans Les Marais de la haine, le fils du shérif local et un de ses amis tentent d’arrêter Désirée (Claudia Jennings), une jeune femme qui vit dans les marécages et braconne le crocodile pour nourrir sa famille. La belle refuse les avances des deux bouseux cherchant à acheter son silence et l’altercation tourne mal puisque Ben est tué accidentellement. Le père de Ben, ses autres fils et le shérif partent en expédition pour retrouver la jeune femme…

Le film joue de manière assez habile sur plusieurs registres. Il débute presque comme un film d’action avec une course endiablée en bateaux à moteur sur les marais. Le découpage est efficace et rythmé. Comme dans certains films d’aventure, Désirée s’en sort en balançant un serpent dans le rafiot de ses poursuivants. En tant que fille proche de la nature, les animaux sauvages apparaissent comme ses alliés (la grande tradition de Tarzan). Le film bifurque ensuite vers la comédie satirique avec le portrait d’une famille totalement dégénérée comme on en trouve beaucoup dans le cinéma « redneck » (voir Massacre à la tronçonneuse ou La Colline a des yeux). Ici, le frère bas du front reluque avec concupiscence une femme en train d’étendre son linge dans une combinaison plutôt saillante. Le beauf, la bave aux lèvres, se jette sur la malheureuse et tente de la violer mais il est stoppé de justesse par son père qui calme ses ardeurs à coups de fouet. C’est alors qu’on réalise qu’il était en train d’abuser… de sa propre sœur ! Dans La Vengeance de la femme au serpent, les réalisateurs accentueront encore plus cette dimension dégénérée en recrutant des autochtones et en forçant le trait jusqu’à son point de rupture : sourires édentés, regards bovins et adipeux, crétinisme absolu…

Enfin, le film reprend à son compte les ficelles du film d’horreur. Comme dans Délivrance, l’apparition des « redneck » est une source constante de terreur. Si Désirée s’en sort, les bouseux s’en prennent à son petit frère muet -qui parvient néanmoins à s’enfuir- et cherchent à violer sa petite sœur que l’un d’entre eux finit par tuer d’un coup de carabine entre les cuisses ! La scène est extrêmement sordide mais traduit parfaitement ce que Lachaud qualifie de « volonté de souiller » une certaine forme de civilisation. Les Marais de la haine emprunte alors la voie du film de vengeance avec une héroïne aussi sexy que bien décidée à tailler en pièces les criminels. Avec sa grande tignasse blonde et son minishort en jean, Claudia Jennings accédait immédiatement au rang des icônes des Drive-in, un peu à la manière de Christina Lindberg dans l’excellent Thriller.

Le film n’est pas sans défauts et parfois un peu répétitif (courses-poursuites dans le bayou) mais cette atmosphère délétère et ces pulsions animales qui ressurgissent dans un univers clos et moite font tout l’intérêt de ce Gator Bait.

© Artus Films

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L’œuvre restera le plus gros succès du couple Sebastian, auteur d’une dizaine de films qu’ils ont bricolés de façon plutôt artisanale, occupant la plupart des postes de production (réalisation, scénario, production, montage, musique…). C’est en 1988 qu’ils décident de réaliser une suite, en dépit de la disparition tragique et précoce de la belle Claudia Jennings.

Le jeune frère de Désirée (qui n’est plus muet désormais !) a grandi et épouse la belle Angélique, une fille de la ville. Ils coulent des jours heureux jusqu’au moment où une bande de redneck menée par Leroy (l’ancien rival du mari) cherche à la violer…

La Vengeance de la femme serpent est moins une « suite » (sauf si on accepte les nombreuses invraisemblances qu’il comporte) qu’une sorte de remake du premier. Mais cette fois, les Sebastian joue plus la carte du « rape and revenge » puisque le temps d’une très longue scène, extrêmement dérangeante, l’héroïne se fait séquestrer et violer avant de s’échapper de justesse. Même si nous sommes dans le cadre d’un cinéma d’exploitation, cette séquence évite le racolage douteux. Autant le moment qui précède l’arrivée des assaillants est délicieusement complaisante puisque les bouseux se planquent dans les marais pour mater à loisir la belle prendre un bain en extérieur, autant les cinéastes jouent plutôt la carte du malaise lorsqu’il s’agit d’affronter le viol. Là encore, le film frappe par son atmosphère poisseuse et son ambiance extrêmement glauque. Les redneck sont particulièrement repoussants et bas du front exprimant à merveille cette sauvagerie qui ressurgit au cœur de la civilisation. C’est d’autant plus frappant qu’Angélique est une fille qui vient de la ville et qu’il faut dès lors « souiller ». Et d’autant plus troublant que la belle citadine aux formes généreuses est jouée par Jan Sebastian, la belle-fille des cinéastes ! Tout se passe comme si, même au casting, la dimension incestueuse et consanguine de l’œuvre était gravée de manière indélébile !

Tirée d’affaire, Angélique va endosser la tenue de la « bad girl » adéquate : minishort en jean et chemisiers échancrée pour aller régler leur compte aux odieux beaufs. Le film possède les qualités et les défauts du premier épisode : à la fois un peu répétitif dans son scénario mais intéressant pour son atmosphère et les portraits croquignolets d’une communauté dégénérée.

On espère que cette collection « redneck » va vite s’enrichir de nouveaux titres…

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