Un petit chef-d’œuvre de littérature (2018) de Luc Chomarat (Marest éditeur, 2018) Sortie le 8 novembre 2018

Etre ou ne pas être un chef-d'oeuvre...

De Luc Chomarat, on avait beaucoup apprécié l’exquis Les Dix Meilleurs films de tous les temps, essai loufoque, poétique et humoristique autour d’une passion chère aux cinéphiles : la liste. Un petit chef-d’œuvre de littérature partage avec le livre précédent une forme extrêmement brève (138 pages, dont certaines se réduisent aux quelques lignes d’un simple paragraphe) et un même sens de la formule, de la pointe acérée et ironique.

Difficile d’extraire en quelques mots la teneur de cet « objet littéraire non identifié ». Dans un premier temps, ce fut même une image tirée de La Planète des vampires de Bava qui ornait sa couverture. Pourtant, même si le récit bifurque le temps de deux ou trois pages vers ce genre, il ne s’agit pas d’un livre de science-fiction. De quoi est-il question alors ?

« Petit » : nous l’avons dit, le livre est court, ciselé et plein d’humour. Face aux grands et pompeux « chefs-d’œuvre » autoproclamés, cette modestie rigolarde est déjà un gage de qualité.

« Chef-d’œuvre » : c’est sans doute un peu tôt pour le dire et seul le temps nous confirmera si le livre gagnera cette postérité dont il se gausse avec beaucoup d’acuité.

« Littérature » : oui, sans aucun doute. Luc Chomarat est un styliste et il a un ton qui n’appartient qu’à lui. Au lieu d’entreprendre un traditionnel roman, il fait de son livre l’objet même du récit. « Il avait l’impression d’arriver trop tard. Cela le rendait triste. ». De ce constat, nous pourrions imaginer une longue dissertation sur la fin d’une certaine idée du roman à l’heure où tous les récits ont déjà été racontés et où les livres sont devenus de simples objets sans même avoir de lecteurs (voir les chiffres faramineux des publications au moment de la « rentrée littéraire »). Mais Luc Chomarat n’assène pas de leçons et se livre plutôt à une sorte de méditation poétique et amusée sur le destin de son propre livre, lui-même autoproclamé « petit chef-d’œuvre de littérature ».

L’ouvrage devient donc personnage. Il dialogue avec les glorieux ancêtres qui l’ont précédé et devient même très copain avec Rastignac. Il n’existe aussi que par ceux qui le connaissent, l’évoquent, le recommandent : un critique très branché, un libraire désabusé, un blogueur analphabète… Comment vit-on son destin de « chef-d’œuvre de la littérature » (petit ou grand)? Quelle place tient-on face aux maîtres de l’histoire de la littérature qui occupent déjà les rayons des bibliothèques et face aux best-sellers qui accaparent les devantures des librairies ?

Avec un humour permanent, Luc Chomorat décortique le destin d’un livre lorsqu’il échappe à son auteur : la manière dont il est reçu, catalogué, étiqueté, critiqué, encensé… Si pendant quelques pages, l’auteur se laisse aller à la science-fiction, ce sont ces rayons qu’il rejoint immédiatement. Comme si une œuvre devait absolument être univoque, immédiatement repérable et ciblée pour un marché précis. Derrière la dérision pointe une certaine amertume contre une époque consumériste où le livre n’est rien d’autre qu’un produit d’appel. Avec ses amis, le « petit chef-d’œuvre » se lamente de se faire refouler systématiquement par les vigiles des supermarchés qui accueilleront à bras ouverts les Musso, Lévy et consorts…

Ce que pointe avec justesse l’auteur, c’est la disparition d’une certaine idée de l’Art noyée sous la vague du consumérisme culturel. «  Un livre, un vrai, devrait modifier votre perception des choses. Du monde. On devrait se réveiller dans un monde neuf. ». Petit chef-d’œuvre ou pas, le livre est ici balloté au gré des tempêtes médiatiques, haché moulu par la plume des critiques, livré aux libraires qui s’empresseront de le ranger à sa place (littérature érotique ? littérature de science-fiction ?) avant d’arriver dans les mains d’un lecteur plus ou moins indifférent.

Aucune aigreur dans ce constat mais un jeu habile et amusant entre une narration qui épouse le destin de « l’objet livre » et qui se nourrit également de son contenu. Un contenu fluctuant, permettant toutes les échappées (sur les pas de Michaux) et les digressions farfelues (une demi-page consacrée à un chat).

Modestement, Un petit chef-d’œuvre de littérature se permet de dialoguer avec les grands auteurs, de s’acoquiner avec de grands personnages et de se nourrir lui-même de l’objet en devenir qu’il est.

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