Un fantôme en colère
Le Fantôme de Milburn (1980) de John Irvin avec Fred Astaire, Alice Krige, Craig Wasson, Douglas Fairbanks Jr, Melvyn Douglas (Éditions Elephant Films) Sortie en DVD et BR le 12 décembre 2018
Coïncidence amusante : dans la salve de 6 films fantastiques que ressortent en ce moment les éditions Elephant, les deux meilleurs titres ont été signés par des cinéastes n’ayant par la suite jamais vraiment brillé par leur délicatesse. Michael Winner, après La Sentinelle des maudits, enverra son ange justicier Charles Bronson dessouder du jeune dans la saga Un justicier dans la ville tandis que John Irvin s’illustrera par des œuvres fleurant bon le muscle huileux et la testostérone d’antan (Le Contrat avec Schwarzy, Coup pour coup…).
Le Fantôme de Milburn est un beau film fantastique, adaptation classique mais assez envoûtante d’un best-seller signé Peter Straub, complice et ami de Stephen King. Le film narre les aventures d’une confrérie (« le cercle du chaudron ») regroupant quatre amis inséparables, soudainement menacée par un secret inavouable qui refait surface.
Les amateurs de fantastique ne seront guère surpris par la construction narrative de l’œuvre somme toute classique : des événements mystérieux (un vieillard et son fils tués par une effroyable apparition), des flash-back qui permettent d’emboiter les pièces du puzzle… Mais le film séduit par le soin apporté à l’atmosphère générale du récit. Dès la scène d’ouverture où les quatre complices se racontent des histoires effrayantes au coin du feu (c’est ainsi qu’est née, dans l’esprit de Mary Shelley, la créature de Frankenstein au bord du lac Léman, en compagnie de Lord Byron) dans une lumière rougeâtre, John Irvin s’attelle à instaurer un climat gothique et inquiétant.
Cette attention toute particulière au climat est assurément la plus belle réussite du film. Pour cela, le cinéaste est particulièrement bien épaulé par ses interprètes, notamment Fred Astaire dont ce sera le dernier rôle au cinéma. Ces quatre vieillards donnent, en effet, une impression de fragilité à tout un édifice en train de s’écrouler. Dans la mesure où ces personnages, soutenus par Craig Wasson (qui sera quelques années plus tard le héros de Body Double de De Palma), sont vulnérables et fébriles, l’angoisse devient presque plus palpable, plus « humaine ». Car si dimension fantastique il y a dans le film, ce « fantôme » peut aussi représenter tous les regrets, remords et parts d’ombre qui viennent assaillir des individus au seuil du grand saut dans l’inconnu.
S’il fallait à tout prix émettre une petite réserve sur Le Fantôme de Milburn, nous dirions volontiers que nous aurions souhaité un film un peu moins « sage ». Rien à redire quant à la direction artistique de l’ensemble, le soin accordé à la photographie (signée Jack Cardiff), le classicisme onctueux de la mise en scène, la direction de la photographie… Mais avec un sujet pareil, on aurait aimé un peu plus de folie, quelque chose de plus maladif et romantique. Le fantôme est incarné par la splendide Alice Krige, actrice au visage totalement fascinant et on peut regretter qu’Irvin se soucie davantage des atermoiements des hommes que de l’aura fantastique de ce personnage qui pourrait convertir à la nécrophilie le plus rangé des pères de famille ! (qu’on songe au sublime finale des Hauts de Hurlevent de Buñuel).
Il manque sans doute à Irvin ce goût pour l’amour fou hérité des surréalistes, pour le romantisme le plus noir et le plus tordu qui lui aurait permis de signer un vrai chef-d’œuvre. Pour l’heure, Le Fantôme de Milburn est un film fantastique d’excellente facture, exécuté avec maestria et qui procurera à tous les amateurs de délicieux frissons…