Bergman, mode d’emploi (2019). Un coffret Carlotta Films. Sortie le 20 mars 2019

© Carlotta Films

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En 2018, nous célébrions le centenaire de la naissance d’un des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma : Ingmar Bergman. A cette occasion était sorti en salles un intéressant documentaire de Jane Magnusson : Bergman, une année dans une vie. S’appuyant sur 1957, l’une des années les plus fastes de la carrière du metteur en scène (deux chefs-d’œuvre absolus au cinéma – Le Septième Sceau et Les Fraises sauvages, un téléfilm, des pièces radiophoniques et la mise en scène de Peer Gynt au théâtre), Jane Magnusson balayait sa vie et son œuvre en tentant de s’approcher au plus près du « mystère Bergman ».

Les éditions Carlotta nous proposent aujourd’hui un beau coffret regroupant ce documentaire, un Abécédaire Ingmar Bergman : A – Ö rédigé sous la direction de Martin Thomasson et enfin, une « version longue » du film de Jane Magnusson : Bergman, une vie en quatre actes.

Quelques mots sur l’ouvrage. L’abécédaire est un parti-pris éditorial qui peut parfois se révéler fructueux, notamment lorsqu’il regroupe sous chaque entrée des articles copieux, à l’image du Cinéma expérimental : abécédaire pour une contre-culture de Raphaël Bassan. Ici, les entrées sont un peu lapidaires et le livre peine à dépasser le stade de l’anecdotique (Bergman aimait les biscuits, il se faisait projeter des films dans son « home cinéma », il ne se séparait pas de son béret). Pour une œuvre aussi intense et ample que celle de Bergman, ce survol a évidemment un côté frustrant même si on picore volontiers dedans, sans le moindre déplaisir. Qu’on n’attende pas ici un repas complet mais juste un apéritif suffisamment salé pour ouvrir l’appétit. Pour se rassasier, en attendant de revoir les films du grand Ingmar, on se jettera sur Bergman, une vie en quatre actes.

Il s’agit donc d’une version de quatre heures de Bergman, une année dans une vie. Les défauts que je pointais ici n’ont pas forcément disparu. On retrouve effectivement cette forme un peu trop télévisuelle mêlant témoignages, extraits et images d’archives. Le tout nappé d’une musique parfois trop envahissante et d’effets de dramatisation pas très heureux (je ne suis toujours pas réconcilié avec cette manière de faire monter le suspense –nappage musical, arrêt sur image – pour nous annoncer que Bergman était… un grand consommateur de yaourts !)

La structure du film a néanmoins été complètement revue. La première partie revient sur cette fabuleuse année 1957 où tout bascule pour Bergman et où il acquiert la stature de vedette internationale. Le deuxième acte est centré autour de son enfance et de sa jeunesse. On y retrouve ce qui agaçait un peu dans le précédent documentaire : une volonté de farfouiller dans les recoins plus sombres de la personnalité de Bergman (son admiration pour Hitler, le caractère ombrageux de sa personnalité, notamment avec sa première femme dont il était violemment jaloux…). Non pas qu’il faille taire ces dimensions chez les grands artistes mais n’est-il pas facile de juger après coup, surtout quand la personne n’a pas agi en conséquence ? (je pense à cette fascination pour le nazisme qui a sans doute été partagée par une foule de jeunes gens à l’époque). On apprend néanmoins d’autres choses dans ce documentaire, notamment les premiers émois sexuels non consentis (mais appréciés !) par le jeune Bergman en prenant un bain avec une tante, une figure qui reviendra hanter Le Silence.  

La troisième époque est consacrée à la « Bergmania », celle où Bergman peut tout obtenir et règne sans partage sur le monde des arts en Suède mais aussi dans le monde entier. Le film rend bien cette frénésie créatrice que le cinéaste dépense dans les années 60 et 70 où il aligne les projets et les chefs-d’œuvre (la manière dont Persona a été financé est assez stupéfiante, un coup de poker inouï).

Enfin, la quatrième partie s’intitule « la puissance et la gloire ». Après l’épisode douloureux de la fugue en Allemagne en raison d’une polémique autour d’une hypothétique fraude fiscale (dont Bergman sera innocenté), le cinéaste revient en fils prodigue en Suède. Il fait alors la pluie et le beau temps dans son pays, brisant des carrières (ce qui me paraît exagéré même s’il a pu se montrer odieux, notamment à l’occasion d’un épisode atroce retracé en détail ici lorsqu’il montait Le Misanthrope) et accaparant tout l’espace. En « allongeant la sauce », Jane Magnusson parvient néanmoins à se montrer plus nuancée et montre aussi, corollaire de cette gloire, la solitude extrême du créateur à la fin de sa vie. On pourra trouver que la cinéaste en rajoute un brin dans le pathos en fin de course mais toujours est-il que la fin de son film est vraiment très émouvante, notamment lorsqu’elle donne la parole à une Liv Ullman en larmes.

L’intérêt de Bergman, une vie en quatre actes, c’est l’impressionnante somme d’images d’archives et de documents que le film nous offre. Certains sont rares et c’est assez étonnant de voir Bergman au travail, Bergman faire le pitre, Bergman s’énerver ou plaisanter. Sur la durée, le documentaire originel gagne une certaine ampleur et offre une image plus nuancée, plus approfondie du cinéaste.

Et encore une fois, donne envie de se replonger dans son œuvre toutes affaires cessantes…  

 

© Carlotta films

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