Les 80', années érotiques ?
Le Sexe à l’écran dans les années 80 (1989) de Gérard Lenne (Henri Veyrier, 1989)
Dix ans après son premier volume sur Le Sexe à l’écran, Gérard Lenne nous propose une suite en forme de bilan. Alors que son premier et copieux essai se terminait sur le souhait légitime d’une réinvention complète de la représentation érotique à l’écran, ce deuxième tome entend revenir sur une décennie d’ébats cinématographiques.
Le premier constat qui s’impose est que les années 80 marquèrent une indéniable régression après le vent de liberté qui souffla dès la fin des années 60 et au cours des années 70 sur le cinéma. La scélérate loi X enterra définitivement les éventuelles velléités artistiques des « pornocrates » et confina le genre dans un ghetto dont il ne se relèvera jamais, étouffé par les contraintes économiques. Inversement, même si l’on revit fleurir un certain cinéma érotique « soft » (surtout en Italie où s’illustrèrent d’excellents cinéastes comme Salvatore Sampieri – Malizia, La Bonne-, Tinto Brass – La Clé- ou Giussepe Patroni Griffi – L’Enchaîné-), le cinéma « normal » devient plus sage, plus timoré…
L’approche de Gérard Lenne est, cette fois, beaucoup plus thématique que dans le volume précédent. Pour brosser le panorama d’une décennie, il s’attache à des thèmes récurrents allant des « premières fois » à la passion dévastatrice en passant par le syndrome de la « Lolita », les projections fantasmatiques ou encore l’émergence des amours homosexuelles. Si le livre a parfois le défaut de frôler le « catalogue », il a le double mérite d’être à la fois très informatif (Lenne balaie un corpus de films très large) et synthétique. Du coup, l’ouvrage – superbement illustré et doté de magnifiques cahiers couleurs- agit comme un élixir de jouvence. Un peu trop jeune pour avoir découvert les films dont il est question lorsqu’ils sont sortis en salles, c’est quelques années plus tard que j’ai pu me régaler, à l’occasion d’une diffusion télévisuelle ou d’une location de VHS, des charmes de Sandrine Bonnaire dans A nos amours, de ceux de la regrettée Pauline Lafont dans L’Eté en pente douce ou encore de ceux de Valérie Kaprisky, de Mathilda May, d’Emmanuelle Béart, Béatrice Dalle, etc.
On replonge également dans ces années où l’érotisme est malheureusement contaminé par cette insupportable « esthétique » clip que l’on retrouve aussi bien chez Tony Scott (Les Prédateurs) que chez Adrian Lyne (Neuf semaines et demi) ou Jean-Jacques Beineix (La Lune dans le caniveau). Toujours fidèle à sa ligne « antiromantique » (Lenne se montre toujours aussi sceptique face à « l’amour fou » préconisé par les surréalistes qu’à la passion maladive et dévastatrice), l’auteur reste en revanche fidèle à ses idéaux libertaires issus de mai 68 et voit dans le sexe une manière de bousculer les tabous d’une société.
En fin de volume, l’auteur aborde la question du cinéma pornographique et son choix de l’avoir traité à part alors qu’on y retrouve également les thèmes évoqués auparavant (l’initiation amoureuse, les affres de la passion, les amours bucoliques…). Il propose ensuite un certain nombre de réflexions sur le genre, ses caractéristiques immuables, ses limites qui sont tout à fait passionnantes. Ni détracteur, ni thuriféraire, Gérard Lenne s’interroge sur ce qu’a manqué ce genre (en 1978, lors de la rédaction du premier volume, tout semblait encore possible), ce qui l’a entravé (l’étouffement fiscal et économique) et ce qu’il pourrait être s’il n’était pas contraint à cette « efficacité » narrative le menant irrémédiablement aux figures imposées. Alors qu’il se veut réaliste dans la monstration (les plans gynécologiques), le genre pornographique (comme le montre aussi Annie Le Brun dans Du trop de réalité) est en fait entièrement voué au merveilleux et au fantasme (le Réel n’a plus de pesanteur, femmes et hommes sont entièrement et toujours disponibles, plus de « pannes » sexuelles…). Lenne regrette justement ce manque de réalité qui pourrait redonner de l’émotion à des ébats amoureux en y injectant du désir, du doute, de l’hésitation, de la gêne, du rougissement…
« « Le cinéma c’est l’émotion », affirmait Samuel Fuller dans Pierrot le fou. Il serait paradoxal qu’il ne le soit pas dans le domaine de l’érotisme. Des interprètes convaincus et convaincants, au service de scénarios qui mettent en jeu le désir et les sentiments, voilà une recette à expérimenter pour aboutir à un « X » vraiment érotique ! »
Cet échec du cinéma pornographique ne semble pas, dans la tête de l’auteur, une raison pour l’enterrer. 30 ans plus tard, il serait d’ailleurs passionnant de se repencher sur cette question du sexe à l’écran, de son éparpillement sur Internet et de son éviction presque totale du cinéma de consommation courante alors que le cinéma d’auteur n’hésite plus à avoir recours, de temps en temps, à la grammaire du cinéma porno (Noé, Breillat, Guiraudie, Lars von Trier…).
Avis aux historiens du cinéma !