Le Moulin des supplices (1960) de Giorgio Ferroni avec Scilla Gabel, Pierre Brice, Dany Carrel (Editions Artus Films)

® Artus Films

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En règle générale, on fait remonter les origines du cinéma gothique italien à 1956 avec la sortie des Vampires de Riccardo Freda (et Mario Bava). Beaucoup d’artisans vont profiter de cette brèche ouverte et offrir ses lettres de noblesse au genre. Comme le rappelle Alain Petit en bonus du film, pour la seule année 1960, cinq films de ce courant vont être distribués en Italie : le fameux Masque du démon de Mario Bava mais aussi Le Monstre au masque de Majano, Des filles pour un vampire (Piero Regnoli), L’Amante del Vampiro de Renato Polselli.

Les éditions Artus Films ont l’excellente idée de sortir le cinquième titre du lot : Le Moulin des supplices de Giogio Ferroni dans un superbe coffret DVD/BR accompagné d’un beau livret signé Alain Petit que l’on retrouvera également dans les suppléments des disques (on l’on pourra également écouter un entretien avec la comédienne Liana Orfei). Le film de Ferroni est passionnant dans la mesure où il est à la fois précurseur d’un courant cinématographique important et qu’il semble, en même temps, faire une synthèse de tout un genre existant auparavant.

Hans, un étudiant, se rend sur une île près d’Amsterdam pour préparer des recherches sur un carillon. Accueilli par le professeur Wahl dans un vieux moulin reconverti en habitation et en étrange musée peuplé de statues de cire, il fait vite la connaissance d’Elfie, sa fille, qui tombe amoureuse de lui mais semble atteinte d’un étrange mal…

Le Moulin des supplices doit beaucoup au renouveau de l’épouvante gothique initié à la fin des années 50 par les britanniques de la Hammer. Le film débute comme tout bon film de vampires (un plan rappelle d’ailleurs furieusement une image célèbre du Vampyr de Dreyer) : un jeune homme égaré dans un pays lointain qui se rend dans une demeure étrange, accueilli par un aristocrate aussi froid que solitaire. Mais aux traditionnels manoirs poussiéreux, aux cryptes pleines de toiles d’araignée Giorgio Ferroni préfère le décor insolite d’un vieux moulin faisant office de demeure et de musée des horreurs. Avec ce genre de films, le décor joue un rôle primordial et le cinéaste tire un profit indéniable de lourdes tentures, de murs rouges et de cet incroyable carillon qui permet de voir défiler de macabres statues de cire rappelant les grandes figures féminines suppliciées (Jeanne d’Arc sur son bûcher, Cléopâtre…). Cette place accordée aux mannequins évoque tout à la fois un classique du cinéma fantastique (L’Homme au masque de cire d’André de Toth) comme il annonce les délires baroques de Mario Bava (Six femmes pour l’assassin).

Par la suite, Ferroni utilise tous les ingrédients qui feront par la suite les recettes du genre : ambiances orageuses, personnages maléfiques (savants fous comme le docteur Hichcock chez Freda, vampires, aristocrates décadents…), jeunes filles sexy et apeurées (axiome à connaître : tout film où joue Dany Carrel est promesse de téton furtivement dévoilé !)…

Je ne voudrais pas trop déflorer l’intrigue pour vous laisser le plaisir de découvrir ce récit bien écrit, bifurquant parfois vers le cauchemar éveillé mais Le Moulin des supplices s’inscrit dans la tradition des films de « savants fous » (c’est d’ailleurs dans un moulin en flammes que périssait la créature de Frankenstein dans le film de James Whale) et qui annonce des œuvres comme L’Effroyable Secret du docteur Hichcock de Freda ou L’Horrible Docteur Orlof de Franco. Les thématiques de la vie éternelle et de l’amour paternel donnent au film des touches de folie hallucinée particulièrement réussies. Et puisqu’on est dans le domaine des références, Ferroni annonce également tout le cycle Edgar Poe adapté pour le grand écran par Roger Corman, avec ses belles couleurs et cette sorte de malédiction familiale qui plane constamment.

Cette accumulation de références pourrait accabler le film mais, encore une fois, il se trouve à la charnière en ce sens qu’il reprend autant d’éléments déjà-vus auparavant qu’il en invente et les fixe pour les années à venir. Contrairement aux quatre films sortis en 1960 et cités précédemment, Le Moulin des supplices est le seul en couleurs et il préfigure en ce sens, par son goût pour les teintes rouges, les flashs bleuâtres des éclairs et des pièces surchargées de tout un bric-à-brac, les expérimentations de Mario Bava. Il est d’ailleurs étonnant de voir à quel point l’apparition de la belle Scilla Gabel avec son petit chien évoque celle, strictement contemporaine, de Barbara Steele dans Le Masque du démon.

De plus, la réalisation est particulièrement soignée, entre classicisme un poil hiératique (le genre oblige) et quelques dérapages oniriques offrant un joli cachet à ce film original et fondateur. Il est, par exemple, évident que Kiyoshi Kurosawa a songé à ce film en réalisant le récent Le Secret de la chambre noire. Preuve que les sortilèges vénéneux du film de Ferroni font encore effet…

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