Simone Barbès ou la vertu (1980) de Marie-Claude Treilhou avec Ingrid Bourgoin, Martine Simonet, Michel Delahaye, Noël Simsolo (Éditions La Traverse/ Editions de l’œil)

© La Traverse/ Edition de l'Oeil

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Venue également de la nébuleuse « Diagonale », Marie-Claude Treilhou signe avec Simone Barbès ou la vertu un premier film à la fois très remarqué et pendant très longtemps « oublié », comme une œuvre maudite au sein du cinéma français. Comme je le soulignais à propos de Beau temps mais orageux en fin de journée, cette structure de production fut basée sur la coopération et l’aventure collective et on ne sera donc pas étonné de retrouver au générique les noms de Gérard Frot-Coutaz (premier assistant) et Paul Vecchiali (au montage). La superbe restauration du film rend justice également à la superbe photographie de Jean-Yves Escoffier et met en valeur le travail effectué sur la lumière et les couleurs (les rouges et bleus de la boite lesbienne) qui participe pleinement à la recherche de stylisation effectuée par la cinéaste.

Là encore, il convient de parler d’une certaine théâtralité. En effet, le film respecte quasiment les trois grandes unités du théâtre classique : unité de temps puisqu’il se déroule pendant une soirée et unité d’action puisque le récit, linéaire et simple comme une tranche de vie nocturne, est entièrement porté par le regard de Simone Barbès (l’étonnante Ingrid Bourgoin). Seule l’unité de lieu n’est pas totalement respectée puisque l’œuvre est divisée en trois temps correspondant à trois endroits différents : d’abord le hall d’un cinéma porno puisque c’est ici que Simone travaille en tant qu’ouvreuse, un night-club lesbien où l’héroïne va retrouver sa petite amie ensuite et, enfin, la voiture d’un vieux dragueur qui propose à Simone de la reconduire chez elle.

Cette construction pourrait paraître un poil rigide mais elle est constamment vivifiée par l’énergie qui se déploie successivement sur ces trois « scènes ». Car, là encore, il n’est jamais question de naturalisme mais bel et bien d’une théâtralité qui la transcende pour faire advenir une certaine vérité des êtres et des sentiments.

Ces trois moments sont particulièrement bien articulés dans la mesure où ils font succéder à un univers exclusivement masculin (le cinéma porno) un univers dédié au féminin (la boite) avant de tenter d’opérer dialectiquement à la rencontre des deux.

Le hall du cinéma où Simone travaille avec sa collègue Martine donne lieu à un petit théâtre humain particulièrement savoureux. L’observation de la clientèle permet à la cinéaste de croquer avec ironie et bonhomie une petite tranche d’humanité. Du client pressé qui cherche à gruger jusqu’au réalisateur tempétueux du film projeté (hilarant Noël Simsolo) en passant par le dandy capable de disserter longuement sur les actrices pornos sans jamais perdre de son aplomb et de sa superbe, le regard de Treilhou est toujours juste, avec ce petit grain de folie permanent qui permet d’éviter la platitude documentaire.

Le travail sur le son est remarquable dans cette première partie. Tandis que la valse des clients, menée par les deux ouvreuses, constitue une vraie chorégraphie, le son (soupirs d’aise, râles de jouissance, insultes…) des films projetés hors-champ compose un contrepoint burlesque assez irrésistible. Mais cette manière qu’a le film de se tenir « à côté » de l’action à proprement parler (ce qui se passe à l’intérieur de la salle) finit par devenir un véritable traité poétique.

En effet, ce qui caractérise son héroïne, c’est d’être toujours au cœur de la vie mais de la regarder d’une manière légèrement décalée. Ni tout à fait chez les hommes, ni tout à fait chez les femmes où elle assiste en spectatrice aux numéros (cabaret, chanson rock…), sans jamais y participer.

Le dernier mouvement, dans la voiture du dragueur, est sans doute le plus émouvant. Car ce qui pourrait d’abord sembler être un nouvel avatar de l’éternel comédie qu’est le jeu de la séduction se métamorphose en un épisode triste et désabusé où chacun est renvoyé à sa solitude. Alors que le dialogue débute sous le signe d’une certaine exagération (Simone qui confie faire merveilleusement bien l’amour), il finit par faire tomber les masques, à l’image de cette fausse moustache que porte cet homme joué par un Michel Delahaye tout à fait étonnant. La beauté de son geste est qu’il parvient à montrer l’artifice sans pour autant tout dévoiler. Ça pourrait être une définition de Simone Barbès ou la vertu : un geste de dévoilement qui laisse les personnages à leur solitude (tous les clients du cinéma sont des sortes de monades laissant transparaître, derrière leurs stratégies d’évitement ou leurs fanfaronnades, un destin pathétique) et à leur tristesse. Mais ce dévoilement n’est possible que si subsiste un certain artifice qui rend l’existence tolérable. Le film possède alors le charme désuet de ces romances populaires venues du cinéma des années 30 (la gouaille parigote d’Ingrid Bourgoin poursuivant d’une certaine manière, comme le souligne Serge Bozon dans un supplément du DVD, la veine d’un Marcel Pagnol).

Entre petit théâtre stylisé à la Fassbinder avec ses marginaux à l’écart de la « rumeur du monde » et mélodrame discret issu du cinéma populaire des années 30, Simone Barbès et la vertu est un film étonnant et singulier qui mérite d’être découvert sans délais…

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