Beau temps mais orageux en fin de journée (1985) de Gérard Frot-Coutaz avec Micheline Presle, Claude Piéplu, Tonie Marshall, Xavier Deluc (éditions La Traverse/ Les éditions de l’œil)

© Les éditions de l'oeil / Diagonale

© Les éditions de l'oeil / Diagonale

C’est sans doute l’événement éditorial de cet été mais dans la mesure où il est porté par des structures relativement confidentielles, il risque de passer un peu inaperçu et ça serait dommage. En effet, les Editions de l’œil (avec les éditions de la Traverse) se sont spécialisées dans la publication de livres d’art (magnifiques) et nous proposent aussi de somptueux livres/DVD. J’avais parlé autrefois de quatre beaux films de Paul Vecchiali et aujourd’hui, ce sont trois films de Pollet (nous y reviendrons bientôt), le premier long-métrage de Jean-François Laguionie (Gwen, le livre de sable) et deux œuvres issues de la galaxie « Diagonale » (Simone Barbès ou la vertu et Beau temps mais orageux en fin de journée) qui viennent enrichir nos rayonnages.

Commençons par les objets puisqu’ils sont magnifiques. De véritables livres recelant de nombreuses illustrations et des documents passionnants (pour Beau temps…, il s’agit de la retranscription de l’émission Microfilms durant laquelle Serge Daney reçut Micheline Presle et Gérard Frot-Coutaz). Quant au DVD, il nous offre des suppléments rares : le court-métrage Le Goûter de Josette que Frot-Coutaz tourna pour le film collectif L’Archipel des amours et des entretiens avec Marie-Claude Treilhou, Paul Vecchiali et Gaël Lépingle qui revient sur la carrière de la grande Micheline Presle.

Avant d’aborder Beau temps mais orageux en fin de journée, un petit mot sur la société de production Diagonale, structure libre imaginée par Paul Vecchiali au milieu des années 70 pour produire ses films. Autour de l’auteur de La Machine s’est vite agrégée une somme d’individualités partageant un  état d’esprit commun, un même amour du cinéma et une volonté de remettre en cause les hiérarchies traditionnelles en vigueur dans la profession. L’une des caractéristiques essentielles de Diagonale où se retrouveront Jean-Claude Biette, Jean-Claude Guiguet, Noël Simsolo, Marie-Claude Treilhou puis Jacques Davila et Gérard Frot-Coutaz est un désir de coopération, une véritable aventure collective où chacun peut occuper les postes des autres en bénéficiant de la même équipe technique et de la même troupe de comédiens (où l’on retrouvera de grands noms comme Hélène Surgère, Danielle Darrieux, Micheline Presle, Christophe Bouvet, Jacques Nolot…). Dans Beau temps mais orageux en fin de journée, on constatera que Jacques Davila a collaboré au scénario et que Paul Vecchiali a participé au montage et a écrit les paroles de la chanson entonnée par Presle et Piéplu.

Pour son premier long-métrage, Gérard Frot-Coutaz nous propose un récit minimaliste qui respecte les unités de temps (le film se déroule sur une journée et se révèle conforme à son titre : plutôt ensoleillé même si quelques nuages lourds assombrissent parfois le climat général), d’action (un couple de retraités s’apprête à recevoir son grand fils qui revient à la maison avec l’intention d’annoncer son mariage) et l’unité de lieu (en dépit d’un prologue situé au cœur d’un marché parisien et de quelques petites escapades dans les quartiers de Belleville/Ménilmontant, le film se déroule quasiment exclusivement dans l’appartement de Jacques et Jacqueline).

Une histoire toute simple, en somme, mais que le réalisateur parvient à rendre vraiment bouleversante. Ce qui frappe d’emblée, c’est la justesse de son regard et son attention aux détails les plus infimes. Nous assistons d’abord au lever du couple et Frot-Coutaz nous plonge d’emblée dans une intimité extrêmement familière avec un mari qui prépare le petit-déjeuner (le café, la chicorée, les tartines à griller…) tandis que son épouse casse un verre, premier signe d’un léger dysfonctionnement, en buvant. Si ces scènes sont extraordinaires, c’est d’abord grâce au génie des deux comédiens (Micheline Presle et Claude Piéplu) mais également parce que le cinéaste parvient à transcender le naturalisme qui guette à chaque instant par une « théâtralité » qui apporte la distance bienvenue et qui évoque d’ailleurs le cinéma de Vecchiali. Si cette vision du quotidien sonne si juste, c’est qu’elle est constamment stylisée, en équilibre entre un certain « réalisme » venu du cinéma français des années 30 (le Paris populaire qui existait encore un peu) et le mélodrame le plus déchirant.

Car les nuages annoncés par la météo et le titre de l’œuvre sont ceux qui perturbent le cours paisible des jours du couple. La dépression couve, au sens météorologique et psychologique du terme. Jacqueline doit prendre de nombreux médicaments et ne cesse de regretter « sa classe » (elle était institutrice). Elle a cette parole étonnante lorsqu’elle prétend que sa classe était « sa scène de théâtre ». En une phrase, Frot-Coutaz montre le drame de ne plus avoir de rôle à occuper sur la scène « sociale » et ce besoin de « représentation » qui nous meut. Il y a quelque chose de bouleversant dans cette vision d’un couple unit par un amour qui n’a sans doute plus rien de passionnel mais où se mêlent complicité, tendresse et une manière commune de faire front face à un quotidien terne et monotone (on retrouve cette thématique dans Le Goûter de Josette avec, en sus, la terreur de se retrouver seul en fin de vie). Mais ce train-train est constamment menacé par les fêlures de Jacqueline, la fatigue de Jacques et son impuissance à soulager son épouse.

La beauté du film est de parvenir à rendre une absolue familiarité des situations (l’apéritif lorsque arrivent les enfants, le repas familial…) et leur donner un caractère immédiatement universel, à creuser sous le banal pour extraire une sorte de « vérité » sur les conflits de génération, les rapports homme/femme (Bernard – Xavier Deluc- n’ose pas annoncer son mariage prochain avec Brigitte – Tonie Marshall-) et ce sentiment de solitude qui nimbe finalement chaque individu. Beau temps mais orageux en fin de journée semble toujours en équilibre précaire entre une certaine douceur d’un quotidien aux repères parfaitement calibrés (on n’a peut-être jamais aussi bien filmé les petits rituels du quotidien qui rythment un « vieux » couple) et le sentiment de vies « gâchées », d’une aspiration à autre chose qui ne viendra jamais (que les retraités s’adonnent à la peinture en amateur n’est pas anodin).

Comme son titre l’indique, Beau temps mais orageux en fin de journée est un film « atmosphérique » qui perçoit avec beaucoup de précision et de finesse les variations des sentiments humains entre l’amour et l’agacement, la tendresse et l’exaspération, entre l’attachement et la lassitude… Le film passe par toutes les phases allant de l’éclaircie à l’assombrissement, de l’humour au (mélo)drame, de la joie à la tristesse… Comme chez Vecchiali, on retrouve cette « vérité » que recèlent les petites ritournelles populaires, cet hommage aux « gens de peu » dans une tradition renoirienne (Bernard regarde d'ailleurs à la télévision Le Déjeuner sur l’herbe)…   

Le film était devenu très rare et cette réédition en DVD nous permet de (re)découvrir une œuvre singulière et d’une rare beauté…

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