Cinéma(ra)t(h)on : J-126
Cinématon 2851-2865 (2014) de Gérard Courant
Dans la mesure où l’histoire du Cinématon croise de temps en temps la mienne, découvrir tous les épisodes de ce monument offre la certitude de se prendre en plein visage la vague du temps qui passe. Lorsqu’arrive le plus beau portrait de toute la saga (ceci dit en toute objectivité, bien entendu !), celui de Célestine (n°2862), c’est la certitude de faire un bond de cinq ans en arrière et de revoir un petit bébé qui n’avait alors que neuf mois. Face à ses bonnes joues, son sourire édenté et ses yeux curieux (ce regard qu’elle a toujours), c’est se projeter un siècle en arrière. Se souvenir de l’immense bonheur de son arrivée, des merveilleux moments passés à la voir s’éveiller au monde, à faire de chaque instant une découverte, à s’émerveiller de ses premiers sourires et de ses premières tentatives pour se tenir assise. C’est également se souvenir des difficultés pour s’organiser, des aléas de l’éloignement et la douleur du séisme à venir. Il y a tout ça sur ce petit visage tant aimé qui passe d’une moue dubitative à un radieux sourire, de l’agacement de ne pas comprendre ce qui se passe (je me tiens derrière le rideau pour éviter qu’elle tombe ou sorte du champ de la caméra) à l’envie de s’amuser à tout prix (avec ce mouvement de tête qui lui était si caractéristique alors). Nous aurons l’occasion de reparler de Célestine puisqu’elle deviendra une « héroïne » récurrente de Cinématon (en attendant son prochain portrait qui ne devrait pas tarder) mais rien ne pourra remplacer dans mon cœur ces images d’elle bébé, traces indélébiles d’une histoire si proche et désormais si loin…
Après cela, ce n’est pas faire injure aux autres cinématonés que de dire que l’étape m’a paru un peu fade. Avant son passage à Dijon, le globe-trotter Gérard Courant a profité d’un festival à Milan pour rapporter quelques portraits souvent austères (immobilité des modèles sur fond neutre). Signalons cependant l’amusant Cinématon du cinéaste Leonardo Carrano (n°2859) qui nous propose un festival de mimiques et grimaces, ce que je n’aime pas d’habitude mais qui s’avère assez drôle dans le cas présent. Notons également que Michele Sambin (n°2861) s’amuse à effectuer un constant mouvement de rotation sur lui-même pendant plus de trois minutes, se masquant parfois le visage avec les mains. Signalons aussi aux amateurs de beaux visages deux portraits de journalistes qui devraient les réjouir. Pour vous mesdames, le jeune Andrea Prandolini (n°2852) qui finit par effectuer (hors-champ) un dessin qu’il présente trop vite à la caméra pour que nous puissions bien le voir. Et pour vous messieurs, la charmante Chiara Serventi (n°2854) qui, avec ses cheveux blonds bouclés et ses lèvres bien dessinées, évoque un détail du Printemps de Botticelli (d’autant plus qu’elle pose devant un abondant feuillage).
Et pour conclure, évoquons également le beau numéro de la photographe et plasticienne Diana Lui (n°2851) qui débute les yeux fermés (comme dans ces photomatons des surréalistes dans une fameuse toile de Magritte) avant de se livrer à des sortes d’incantations. Elle sort de cadre pour revenir le visage entièrement dissimulé par ses longs cheveux noirs, comme le fantôme de Ring puis se livre à de longs mouvements convulsifs avec sa tête, à la manière d’Isabelle Adjani dans Possession de Zulawski. Parfois, le modèle sort du cadre et nous laisse avec une photo de femme nue accrochée au mur. Un subtil mouvement de balancier entre la vie et la mort d’une image (fixe ou animée).