La Ferme de la terreur (1981) de Wes Craven avec Maren Jensen, Sharon Stone, Ernest Borgine, Michael Berryman (Éditions Elephant films)

© Elephant Films

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A un moment donné, Vicky, l’un des trois personnages féminins du film, sort d’une salle de cinéma où est projeté L’Été de la peur. Wes Craven se permet alors un petit clin d’œil au précédent film qu’il a réalisé. Tourné pour la télévision avec Linda Blair dans le rôle-titre (la jeune actrice rendue célèbre grâce à L’Exorciste), l’œuvre obtint un tel succès qu’elle bénéficia d’une sortie en salles. Et les producteurs proposèrent alors à Craven un budget confortable pour mettre en chantier La Ferme de la terreur.

Rétrospectivement, ce beau film peut apparaître comme un trait d’union entre les premières œuvres de Wes Craven (La Dernière Maison sur la gauche, La colline a des yeux) et celles, plus oniriques, qui feront sa renommée par la suite (Les Griffes de la nuit). Comme à ses débuts, le cinéaste situe l’action de son récit dans un endroit particulièrement isolé, une campagne perdue où vit une communauté Hittite, qui, dixit Martha « ferait passer les Amish pour des libertins échangistes » ! Refus du progrès, de la technologie, de l’électricité et mœurs patriarcales archaïques, les Hittites voient leur équilibre troublé lorsque l’un des leurs (Jim) se marie avec Martha (Maren Jensen), une « étrangère ». Mais l’homme est rapidement tué et la communauté suspecte des forces démoniaques, celles des « incubes » que représentent pour eux toute personne extérieure à leur groupe…

Wes Craven joue d’abord sur cette opposition entre civilisation et sauvagerie. Parmi les hittites, on retrouve d’ailleurs l’inquiétante silhouette de Michael Berryman qui jouait l’inoubliable Pluto dans La colline a des yeux et qui terrorise ici une jeune femme s’adonnant à la peinture. L’équilibre du couple formé par Martha et Jim est constamment menacé par des forces obscures et inquiétantes que souligne d’ailleurs une musique qui pourrait être celle d’un rituel sataniste.

Après la mort de Jim, Vicky et Lana (Sharon Stone) retrouvent leur amie Martha et passent quelques jours avec elle pour la réconforter. Des phénomènes étranges se produisent : Lana est victime de torturants cauchemars et se fait enfermer sans raison dans une grange où elle trouve un cadavre, Martha se fait attaquer dans son bain par un serpent… Cette dernière scène est particulièrement intéressante car Wes Craven la tournera quasiment à l’identique dans Les Griffes de la nuit sauf que c’est la main gantée et ornée de lames de rasoir de Freddy qui apparaitra entre les jambes de l’héroïne au lieu du reptile.

La scène est également très symbolique puisqu’elle évoque une angoisse de pénétration. Wes Craven joue sur des symboles forts et contradictoires, très connotés psychanalytiquement parlant. D’un côté, il y a une organisation hittite sous le joug d’un patriarche inquiétant et fanatique (l’excellent Ernest Borgine) et le cinéaste montre un univers où les femmes sont corsetées, brimées et où la sexualité (pour les hommes et les femmes) est niée et étouffée. Faith, la jeune fille qui peint, a d’ailleurs une mère sage-femme qui l’énonce clairement : si elle avait eu un garçon, elle l’aurait étouffée. Cette femme, hors de la communauté hittite, cultive une haine absolue du « mâle » et y voit la cause de tous les maux. L’intelligence de Craven va être de jouer à la fois sur l’évidence de ce patriarcat nocif, de cette phobie de la pénétration et de développer une autre dimension liée à un rapport mère/fille perturbée dans la lignée de Psychose ou de Carrie. Je ne peux évidemment pas en dire plus pour ceux qui n’ont jamais vu le film mais la manière dont le film d’Hitchcock infuse La Ferme de la terreur est évidente : maison « maudite », une attaque dans un bain avec un découpage qui évoque la fameuse « scène de la douche » (montage ultra-rapide, soudaine plongée verticale…) jusqu’à la scène de la voiture qui ne sera pas jetée dans un lac mais brûlée après une violente agression au couteau illustrée par une musique stridente qui évoque un peu celle de Bernard Hermann…

En se référant à Hitchcock, Craven joue moins sur la violence exacerbée qui fit la réputation de ses premiers films (La Dernière Maison sur la gauche, La colline a des yeux) que sur une angoisse savamment distillée qui fonctionne plutôt très bien (en dépit de quelques invraisemblances scénaristiques). Il élabore également un univers où le fantasme et l’onirisme prennent une place prépondérante. Le personnage, joué par une Sharon Stone juvénile, est particulièrement intéressant car il est hanté par des visions de silhouettes terrifiantes, d’araignées repoussantes et la jeune femme finit par ne plus distinguer le réel de l’imaginaire.

Au bout du compte, Wes Craven parvient à trouver un équilibre entre la sauvagerie de ses débuts (la communauté hittite apparaît au départ comme une version aseptisée de la famille dégénérée de La colline a des yeux) et l’onirisme qui allait s’inviter par la suite dans son cinéma peuplé de croquemitaines (Freddy, le tueur de Shocker…) et de cauchemars traumatisants.

Une œuvre de transition, en quelque sorte…

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