Famille décomposée
Le Beau-père (1987) de Joseph Ruben avec Terry O’Quinn, Shelley Hack (Editions Elephant Films)
Même si le film s’ouvre sur une scène de crime particulièrement sanglante (un homme a assassiné sa femme et sa fille) et qu’il se termine selon un schéma assez classique du cinéma d’horreur et du slasher (le tueur fou qui menace les deux héroïnes), Le Beau-père relève moins du genre fantastico-horrifique que les autres titres proposés en ce moment par les éditions Elephant films. Pendant quasiment toute la durée du métrage, le spectateur assiste d’abord à un thriller psychologique particulièrement efficace puisque le tueur du début s’est remarié avec une élégante veuve (Shelley Hack, que les fans de séries connaissent forcément puisqu’elle fut l’une des Drôles de dames) et qu’il semble avoir trouvé un nouvel équilibre avec cette épouse et sa belle-fille Stéphanie. Mais l’adolescente n’aime pas son beau-père et sent que quelque-chose cloche chez lui. A partir de ce postulat, tout l’art de Ruben (dont nous avions loué le Dreamscape) va être de faire naître par petites touches une angoisse de plus en plus prégnante. Il y aura d’abord ce moment où Stéphanie surprend Jerry en train de piquer une grosse colère au sous-sol de la maison, sans raison apparente puisqu’il était tout sourire jusqu’à présent. Puis cet article de journal revenant sur le crime sanglant commis un an auparavant et qui fait naître des soupçons dans l’esprit de la jeune fille…
D’un point de vue dramaturgique, le film est diablement efficace et le cinéaste parvient à maintenir un suspense qui va crescendo. Le finale a beau être un poil convenu, l’ensemble est tenu et assez captivant. Mais là où Le Beau-père séduit encore plus, c’est dans sa dimension ironique. En effet, le scénario a été co-écrit avec le grand Donald Westlake dont on connaît le génie décapant (voir Le Couperet). Au-delà de sa trame de thriller, le film propose une vision acerbe de l’American Way of Life. L’obsession de Jerry n’est pas de tuer mais de former une famille parfaite. C’est lorsque l’harmonie de ladite famille commence à se fissurer qu’il disjoncte et se laisse submerger par ses pulsions destructrices. Symptomatiquement, c’est lorsque l’adolescente commencera à assumer ses désirs sexuels (elle a enfin embrassé son petit ami) que la catastrophe s’enclenchera. Grâce à son scénariste, Joseph Ruben joue sur le contraste entre les apparences (la petite ville américaine sans histoire qui évoque celle d’Halloween), le vernis de l’image d’Epinal autour de la famille (le beau-père qui bricole, l’épouse qui cuisine et la fille qui suit sagement ses études) et les pulsions les plus inavouables.
Comme dans Psychose d’Hitchcock (on n’a pas fini de répéter à quel point ce film fut matriciel), le cinéaste joue sur la topographie des lieux pour souligner ce contraste. Dans le jardin, pendant une réception, Jerry est l’homme le plus souriant de la terre. Prévenant, il fait un discours émouvant et se réjouit du bonheur qui entoure sa nouvelle famille. Mais il suffit qu’il aille au sous-sol pour que refoulé fasse surface, que le masque se craquelle et qu’il laisse s’exprimer sa violence, sa folie meurtrière. Comme chez Hitchcock, la famille (même recomposée) devient de théâtre de toutes les névroses. Comme par hasard, même s’il le fera de façon moins littérale, Ruben nous proposera une relecture de la fameuse scène de la douche.
Plus qu’un traditionnel film d’horreur, Le Beau-père est une satire qui joue sur la dualité de l’individu (un peu à la manière du personnage du Couperet qui dissimulait ses sombres agissements pour trouver du travail). L’effroi vient du fait que cette famille vive à côté d’un criminel totalement fou qui revêt pourtant la défroque de la plus grande normalité. L’horreur ne vient plus de « l’extérieur » (le psychopathe évadé d’un asile) mais bel et bien du sein chaleureux du foyer et de la famille.
C’est ce côté domestique de l’horreur qui frappe dans Le Beau-père : plus proche et familière, elle semble nichée au cœur de chaque individu et prête à exploser au moment où l’on s’y attend le moins…