La nuit des sangsues
Night of the Creeps (Extra Sangsues) (1986) de Fred Dekker avec Jason Lively, Jill Whitlow (Elephant Films) Sortie en DVD et BR le 12 novembre 2019
Je vous parlais il y a peu de mes souvenirs de Vampire, vous avez dit vampire ? pour verser une petite larme sur mes années Mad Movies. Avec Night of the Creeps, également connu comme La Nuit des sangsues et qui sort aujourd’hui sous le titre Extra Sangsues, nous nous trouvons dans le même cas de figure. En effet, le premier long-métrage du jeune Fred Dekker fut présenté au festival d’Avoriaz en 1987 et fit rêver le tout jeune adolescent que j’étais. Les critiques enthousiastes de Mad Movies firent bouillonner mon imagination et je rêvai devant les images d’un film qui semblait alors relativement sanglant. Mais il se trouve que je ne verrai jamais l’œuvre, encore trop jeune pour la découvrir en salles (d’ailleurs, je doute qu’il fût sorti à Dijon) et le manquerai par la suite en VHS.
C’est donc avec un mélange de curiosité et de nostalgie que j’ai découvert hier Night of the Creeps dans une superbe copie proposée en Blu-Ray par Elephant Films. Et je dois avouer que je ne m’attendais pas du tout au résultat et qu’il m’a très agréablement surpris. Je craignais un peu la série B bricolée et pimentée de scènes gore typique des années 80. Or le film de Fred Dekker frappe d’abord par son excellente direction artistique et une certaine tenue (mis à part peut-être un prologue avec des extra-terrestres un tantinet ringards).
De quoi est-il question dans cette œuvre ? D’aliens belliqueux qui débarquent sous forme de grosses sangsues noires en pénétrant les corps humains et en réanimant les cadavres sous forme de dangereux zombis. Le film débute à la fin des années 50. Noir et blanc soigné, les Platters qui chantent Smoke gets in Your Eyes et des jeunes gens qui vont se bécoter au Drive-in. Tandis qu’un tueur fou échappé de l’asile commet un atroce crime sur une jeune femme, son petit ami est possédé par les sangsues.
27 ans plus tard, Fred Dekker nous invite sur un campus en reprenant les codes du « teen movie » : fraternités dominées par des sportifs au crâne vide et aux dents trop blanches, freaks qui rêvent de perdre leur pucelage et la belle qui fait tourner toutes les têtes. Désirant faire partie de la fraternité des Betas, Chris et J.C sont bizutés et doivent trouver un cadavre à la morgue pour le placer à l’entrée d’une autre fraternité. Le problème, c’est qu’ils choisissent le corps « cryogénisé » du jeune homme victime des sangsues. Rendues à la liberté, les bestioles vont semer la panique sur le campus…
Le cinéaste, dont s’était le premier film et qui ne persévèrera malheureusement pas longtemps dans la réalisation (on lui doit un Monster Squad que je n’ai point vu et le troisième volet de la saga Robocop), réalise ici une œuvre composite qui se déploie selon trois axes. Le premier est clairement référentiel. Avec Night of the Creeps, Fred Dekker rend un hommage évident au cinéma fantastico-horrifique qu’il apprécie et connaît sur le bout des doigts. Dès la première séquence, le film évoque le cinéma de science-fiction des années 50 marqué par la crainte d’une l’invasion extra-terrestre et cite directement Ed Wood (ce même Ed Wood qui sera cité plus tard sous la forme d’un extrait de Plan 9 from Outer Space). Par la suite, le réalisateur s’amuse à donner des noms de cinéastes à tous ses personnages qui évoluent d’ailleurs à l’université Corman. L’inspecteur s’appelle Cameron tandis que l’héroïne porte le patronyme de Cronenberg. On reconnaîtra également un Romero, un Hooper, un Landis, un Raimi, un Miner, un Wallace, un Teague et un Dante. Moins directement citationnel, le récit s’inspire à la fois du Plan 9 from Outer Space (les visiteurs extra-terrestres contrôlant le cerveau des humains devenus zombis) et de La Nuit des morts-vivants de Romero avec des clins d’œil à Evil Dead et Alien.
Cet axe « référentiel » n’empêche pas une certaine croyance et Fred Dekker se montre assez habile pour créer une atmosphère angoissante. En dépit de quelques facilités (le recours aux « jump scare »), le film est parfois assez flippant et le spectateur est pris par une machine narrative globalement efficace (pas de temps morts, une construction impeccable). On notera qu’un an avant Hidden de Jack Sholder, c’est moins le côté « étranger » de l’envahisseur qui inquiète (comme dans les années 50 où les extra-terrestres symbolisaient les communistes) que sa capacité à investir les corps et son pouvoir de contamination. On peut y voir à la fois un hommage au Shivers (Frissons) de Cronenberg et une métaphore de cette nouvelle maladie qui allait faire des ravages dans les années à venir : le sida.
Reste un dernier axe qui est celui de la parodie. On le sait, les années 80 furent marquées par l’arrivée d’un cinéma d’horreur beaucoup moins nihiliste et « à l’estomac » que celui des années 70. Le sang s’y conjugue désormais avec le rire dans les délires grand-guignolesques de Stuart Gordon (Ré-animator) ou Peter Jackson (Bad Taste). Dekker succombe à cette tendance en faisant de son inspecteur revanchard un gros bras capable d’attraper à mains nues une sangsue en la mettant en garde : « n’y pense même pas, fils de pute ». Ces touches d’humour sont à la fois amusantes mais nuisent aussi à l’équilibre d’un film navigant entre l’hommage sincère, habité, angoissant et la parodie qui met à distance la peur.
Cette petite réserve n’empêche nullement de prendre un grand plaisir à ce Night of the Creeps qui mérite assurément le détour et qui réjouira ceux qui furent adolescents à la fin des années 80…