"Roman porno", canal historique. Episode 4
Lady Karuizawa (1982) de Masaru Konuma avec Miwa Takada (Editions Elephant Films) Sortie en DVD/BR le 17 décembre 2019
L’une des caractéristiques du « roman porno », c’est qu’il va vite se subdiviser en plusieurs « sous genres ». Certains artisans vont opter pour un ton plus comique, d’autres comme Kumashiro resteront attachés à une certaine vision sociale tandis que va également se développer un large courant lié aux pratiques sadomasochistes. Masaru Konuma se fera un grand spécialiste de ces films de cordes et de fouets et l’on retiendra de son œuvre des titres comme Fleur secrète, Une femme à sacrifier ou La Vie secrète de madame Yoshino où s’épanouissait l’étonnante Naomi Tani.
En supplément du film, on trouvera un documentaire que le cinéaste Hideo Nakata (Ring, Dark Water) consacra à Konuma en 2000 : Sadistic and Masochistic. Si d’un point de vue formel ce document est assez ingrat (Nakata interroge Konuma et divers témoignages de ses collaborateurs se succèdent), il permet néanmoins d’éclairer la personnalité d’un cinéaste à la fois calme et réservé mais d’une incroyable intransigeance. Au départ, l’idée d’un cinéaste sachant ce qu’il veut émerge avant que plusieurs confessions nous dévoilent certaines pratiques (à la limite de la tyrannie) qui ne seraient guère envisageables aujourd’hui. Pourtant, si certains (assistants, actrices) avouent l’avoir haï, tous s’accordent à lui trouver des qualités (y compris humaines : Konuma n’a jamais « laissé tomber » ses assistants, par exemple) et montrent surtout à quel point il a pris son métier au sérieux. Le « roman porno » n’était pas pour lui une basse besogne alimentaire mais bel et bien l’écrin pour poser un regard sur les relations humaines. A ce titre, le plus beau moment du documentaire est celui où Naomi Tani, habillée en kimono, revient au studio Nikkatsu après 20 ans d’absence et retrouve son mentor. Nakata les installe dans une salle de projection et ils regardent solennellement Une femme à sacrifier. Il y a ensuite quelque chose d’émouvant à les entendre revenir tous les deux sur cette expérience.
Au début des années 80, la donne a changé avec l’arrivée de la vidéo et la Nikkatsu pousse ses cinéastes à négocier un certain virage. Lady Karuizawa témoigne de cette évolution. Dans le cadre du « roman porno », on peut presque parler de superproduction de prestige : un récit plus long qu’à l’accoutumé (1h33 au lieu des 1h10 de rigueur), une construction romanesque plus élaborée avec des références à la culture européenne plus marquées (l’héroïne est une passionnée de Mozart, la trame scénaristique rappelle parfois L’Amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence) et des moyens mis au service d’une mise en scène soignée.
Lady Karuizawa narre les aventures d’un jeune homme pauvre qui arrive à Karuizawa, une petite ville où se réfugiaient les riches tokyoïtes pour échapper à la chaleur étouffante de l’été, pour y devenir serveur dans un restaurant chic. Lors d’une soirée privée chez un très riche notable, Junichi trébuche et renverse un plat sur les invités. Violemment pris à parti par le maître de maison, il est défendu par son épouse Keiko (Miwa Takada) qui finira par l’engager comme précepteur de son fils. Malmenée par son mari et délaissée, Keiko va peu à peu vivre une aventure passionnelle avec le jeune homme…
Si Konuma traite une nouvelle fois des rapports de domination et de soumission, il le fait cette fois dans le cadre plus large des rapports sociaux. Dans le cadre de son foyer, Keiko est victime de l’ordre patriarcal puisque son mari la trompe mais qu’elle doit accepter tous ses désirs lorsqu’il daigne rentrer à la maison. Junichi, quant à lui, est victime de sa condition sociale et doit subir de constantes humiliations, notamment de la part de la nièce de Keiko qui l’oblige à s’agenouiller devant elle et à boire du vin en léchant sa jambe et ses pieds.
Les rapports sexuels traduisent ici les rapports de classe, entre asservissement et humiliation. Mais on sait également que le terme « roman » utilisé pour désigner le genre a fini par recouvrir le sens de « romantique ». Lady Karuizawa en constitue un bon exemple puisque la passion amoureuse finit par abattre les barrières sociales et offre à Keiko un moyen de s’épanouir qui aboutira à son extraordinaire sourire final. L’un des grands intérêts du film tient à la performance de Miwa Takada, actrice venue du cinéma « classique » (elle tourna beaucoup sous la direction de Misumi, et notamment dans la saga Zatoichi) qui, après une période d’éclipse (elle n’avait pas tourné depuis 12 ans), tenta un retour par le biais du cinéma érotique. Grâce à cette comédienne magnifique qui doit lutter à la fois contre sa condition sociale de femme asservie et contre le temps qui file, Konuma signe un film élégant et soigné qui tranche peut-être avec la violence inouïe de ses grandes œuvres des années 70 mais qui témoigne de son attachement indéfectible aux grandes figures féminines…