A l’ombre des jeunes filles humides (2016) de Akihiko Shiota

Chaudes Gymnopédies (2016) d’Isao Yukisada

(Elephant Films) Sortie en BR/DVD le 17 décembre 2019

© Elephant Films

© Elephant Films

Après une relecture de l’œuvre de Tanaka (L’Aube des félines), deux cinéastes s’attelèrent, dans le cadre du projet « reboot » de la Nikkatsu, à proposer des versions contemporaines des films de Kumashiro.

A l’ombre des jeunes filles humides débute là où s’achevait Les Amants mouillés : par une jeune femme à bicyclette fonçant dans l’océan. Là encore, il ne s’agit pas de refaire le même film 40 ans plus tard mais de jouer sur des réminiscences et des rimes. On retrouve donc un héros énigmatique qui, cette fois, cherche à fuir la compagnie du monde en vivant en ermite dans une cabane dans la forêt. Mais il est abordé par la jeune femme à bicyclette, excentrique notoire qui aimerait faire du théâtre.

Des Amants mouillés, on garde en mémoire une scène de saute-mouton sur la plage qui traduisait à sa manière la singularité et la liberté du film de Kumashiro. Celui de Shiota est sans doute beaucoup plus « pro » (les moyens techniques permettent un cadre plus stable, un montage plus fluide, une image plus soignée) mais il lui manque cruellement l’énergie et la vigueur qui faisaient la force de son prédécesseur. De tous les films présentés dans le cadre de ce coffret « roman porno », A l’ombre des jeunes filles humides est sans doute le plus fade et le plus décevant. Le film n’est pas détestable et est plutôt bien fait mais il n’a guère d’envergure et semble peu représentatif de la jeunesse japonaise d’aujourd’hui (même si on peut y lire en filigrane la crise du couple et de la famille). On retiendra néanmoins une belle scène : celle où l’héroïne demande à Kosuke de l’initier au théâtre. Dans une clairière qui se change soudainement en espace scénique, les deux comédiens se livrent à une série d’exercices théâtraux (prononcer le même mot en lui donnant une coloration différente selon les émotions à exprimer, utiliser son corps dans l’espace en jouant avec un bâton…) que Shiota filme longuement au détriment de toute efficacité narrative. Cette scène marque sans doute un désir de transfigurer les codes du « roman porno » en pur archétypes théâtraux mais l’équilibre n’est malheureusement pas tenu et l’œuvre s’avère très moyenne.

© Elephant Films

© Elephant Films

Beaucoup plus intéressant est Chaudes Gymnopédies, relecture de L’Extase de la rose noire de Kumashiro. Au cinéaste presque amateur obsédé par l’idée de finir son film coûte que coûte, quitte à recruter une « actrice » de fortune à son insu dans l’œuvre originelle, succède un metteur en scène reconnu (une rétrospective lui est même consacrée) mais en crise, incapable de terminer le film qu’il a débuté. Le temps d’une semaine, nous allons suivre sa dérive de maîtresse en maîtresse (il couche avec une de ses collaboratrices et une de ses étudiantes) ainsi que sa quête menée pour récolter la somme d’argent qui lui permettra de payer la chambre d’hôpital de sa femme dans le coma.

Le film de Yukisada frappe par sa profonde tristesse. Avant d’être un classique « roman porno », Chaudes Gymnopédies est un drame existentiel et un beau portrait d’homme désemparé, en pleine crise créative et sentimentale. La musique de Satie qui accompagne systématiquement ses ébats amoureux fait bien entendu songer au Feu follet de Louis Malle mais c’est surtout, comme le souligne d’ailleurs Stéphane du Mesnildot dans le supplément du disque, au cinéma de Hong Sang-Soo que l’on songe.

Outre un zoom recadrant les personnages au début du film, qui semble presque un clin d’œil, on retrouve comme chez le coréen cette manière de peindre le caractère d’un homme un peu veule (il n’hésite pas à voler la tirelire de sa jeune maîtresse) qui ne parvient pas à dissocier sa vie professionnelle de sa vie sentimentale. A son incapacité de créer s’ajoute une incapacité à aimer qui contraste avec la sincérité et l’incroyable mansuétude de ses partenaires féminines. C’est, par exemple, son ex-femme qui n’hésite pas à céder aux avances d’un de ses libidineux collègues afin de collecter de l’argent qu’elle lui donnera. Le passage est très fort car Yukisada parvient à la fois à montrer la bassesse de son cinéaste et la grandeur de cette femme sans pour autant porter de jugement sur leurs actes. L’homme est un paumé qui vit désormais dans une permanente culpabilité. Le film séduit par sa profonde mélancolie et la manière dont le réalisateur parvient parfois à faire glisser son récit jusqu’à la lisière du fantastique (cette femme dans le coma est désormais une sorte de fantôme qui vient hanter son mari).

D’un point de vue stylistique, les deux œuvres n’ont plus rien à voir avec le cinéma rageur et débridé de Kumashiro. Néanmoins, ces Chaudes Gymnopédies touchent par la profonde tristesse qui en émane et par la manière nuancée qu’à Yukisada de peindre ses personnages.

Retour à l'accueil