Romance et série noire
First Love, le dernier yakuza (2019) de Takashi Miike avec Masataka Kubota, Becky
Cela faisait très longtemps que nous n’avions pas eu de nouvelles du prolifique Takashi Miike, l’homme qui tourne plus vite que son ombre (au début des années 2000, il réalisait parfois 6 ou 7 films par an). Pour ma part, j’en étais resté à son estimable remake du classique de Kobayashi Hara-Kiri : mort d’un samouraï. Pour une fois, l’un de ses films est mieux distribué et est arrivé jusqu’à nos écrans dijonnais. Depuis l’hallucinant Visitor Q, le cinéaste s’est un peu assagi mais First Love reste une œuvre assez déjantée.
Il faut imaginer une romance sentimentale à la Hamaguchi (Asako I&II) sur fond de guerre des gangs et de règlements de compte sanglants à la Kitano. Miike met en scène un couple de tourtereaux éthéré évoluant dans un contexte de trafic de drogue et d’un homme qui tente un plan foireux afin de doubler un gang de yakuzas. A la différence du film d’Hamaguchi, le coup de foudre débute ici par un coup de poing, celui que Leo assène à un flic poursuivant la jolie Juri. Se croyant condamné à mort, le jeune homme va entreprendre de sauver la jeune femme utilisée comme appât dans une sombre histoire de drogue et de trahison.
Miike joue sur le contraste entre une romance sentimentale platonique et la violence du tableau global. L’une des premières scènes du film nous présente Leo sur un ring en train de boxer. Lorsqu’il assène le coup de poing final, un raccord tranchant comme une lame de sabre nous montre une tête rouler dans une rue sombre. Ou comment faire le lien, en deux plans, entre l’histoire de ce jeune boxeur sans enthousiasme et les yakuzas qui s’entretuent entre gangs rivaux (notamment entre chinois et japonais). Mais ces excès sanglants, le cinéaste va les traiter de façon burlesque. En ce sens, il n’a rien perdu de son sens de l’outrance et d’un certain grotesque. A ce titre, la longue séquence où tous les personnages se massacrent mutuellement dans un grand magasin est assez caractéristique de ce cinéma excessif et drolatique. L’un des personnages semble immortel (les balles qu’il reçoit n’ont aucun effet sur lui) jusqu’au moment où sa rivale lui coupe un bras et qu’un autre le décapite. Miike préfère au sérieux papal qui prévaut parfois dans les films de yakuzas et autres gangsters (voir certaines purges de Johnnie To comme Exilé) un certain sens de la dérision et lorgne davantage du côté de la bande dessinée extravagante, à l’image de ce petit passage où une spectaculaire cascade (totalement irréaliste, du genre de celle que parodiera Adam McKay au début de The Other Guys –« Aim for the bushes »-) devient une scène animée.
La joliesse de l’histoire d’amour offre alors un contrepoint bienvenu à ce récit plein de bruit et de fureur. Pour être tout à fait franc, l’équilibre n’est pas toujours tenu : le film n’est pas dénué de quelques longueurs et l’hystérie qui y règne presque constamment est parfois un peu lassante. Mais pour peu qu’on ne renâcle pas face aux excès d’hémoglobine (pas d’inquiétude non plus : ce n’est quand même pas un film « gore ») et à la violence rigolarde (un peu à la manière des premiers Tarantino), First Love s’avère assez réussi et mérite le coup d’œil.