A Scene at the Sea (1991) de Takeshi Kitano avec Claude Maki, Hiroko Oshima (Éditions La Rabbia). Disponible en Mediabook en édition limitée sur TheJokerShop.com

© La Rabbia

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C’est avec Sonatine, son quatrième film, que nous avons véritablement découvert Takeshi Kitano en France. A cette occasion, les salles avaient exhumé ses œuvres précédentes et c’est ainsi que naquit vraiment chez nous un nouvel auteur. Entre la star comique du petit écran japonais (le spectateur français pourra avoir un aperçu de son registre en regardant le médiocre Getting Any ?) et les polars violents (Sonatine, Violent Cop) qui firent sa réputation, la découverte d’A Scene at the Sea fut assez surprenante. On y découvrait un Kitano sentimental et apaisé, adepte d’un burlesque minimaliste et du mélodrame retenu.

Shigeru (Claude Maki) est un éboueur sourd-muet. Parmi les ordures qu’il ramasse, il trouve un beau jour une planche de surf abimée. Il parvient à la rafistoler et passe désormais ses journées sur la plage à tenter d’apprivoiser son nouveau jouet. Il est accompagné par Takako, elle aussi sourde-muette, qu’on devine être sa petite amie…

Il y a un côté chaplinesque dans A Scene at the Sea dans cette manière qu’a Kitano de porter son attention sur deux marginaux avec une infinie délicatesse et beaucoup de tendresse. Du fait de leur handicap, Shigeru et Takako sont isolés : un collègue du jeune homme est obligé de lui taper dans le dos pour qu’il se pousse et laisse un camion se garer, les autres jeunes sur la plage se moquent de lui, il reste parfaitement indifférent à l’environnement… Mais cet isolement permet également au cinéaste de développer une histoire d’amour totalement atypique et extrêmement touchante. Isolés des autres, les amoureux se retrouvent dans leur petite bulle et les sentiments qui les meuvent ne s’expriment ni par les gestes (jamais ils ne se touchent) ou les mots : juste par des regards et une manière de tenir une posture dans le plan. Si Kitano se réfère à Chaplin pour l’humanité que dégage son couple de marginaux, sa mise en scène relève plus d’une certaine rigueur géométrique allant de Keaton à Kaurismaki. Les gags sont rares (le surfeur qui, systématiquement, trébuche et tombe en courant vers l’océan) mais dégagent une vraie poésie, à l’image de ces moments où Takako plie soigneusement les habits qu’elle trouve sur sa place, que ça soit ceux de Shigeru mais également ceux d’autres surfeurs…

Le goût pour la planche permet à Shigeru de « s’intégrer » peu à peu au groupe qu’il côtoie. Kitano fait mine de reprendre les étapes du « film de sport » (les débuts difficiles, l’entrainement acharné puis la récompense en compétition) pour mieux les transgresser. Toute l’évolution de Shigeru est montrée de manière décalée : ses entrainements et « victoires » sont filmés avant tout par le biais du regard des autres (ironie piquante lorsqu’on sait que le comédien Claude Maki est un vrai champion de surf !), la compétition est « bon enfant » et notre héros ne remporte évidemment pas la plus haute victoire… Si Kitano manifeste dans de nombreux films un goût évident pour le jeu, c’est moins l’aspect compétitif qui l’intéresse (il n’y a pas de vainqueurs dans les jeux de plage auxquels s’adonnaient les personnages de Sonatine) que les moments où des liens se tissent. Les résultats de la compétition de surf n’ont aucun intérêt : c’est le plaisir de prendre des photos et de se retrouver au cœur d’un groupe qui rend heureux Shigeru et Takako.  

Nous ne dévoilerons évidemment pas la fin pour ceux qui n’ont encore jamais vu le film mais le cinéaste s’engouffre sur la pente d’un mélodrame qui distille une émotion douce car jamais rien n’est dit frontalement ou appuyé. Par le simple agencement des plans, notamment ses belles compositions horizontales, il parvient à créer une harmonie tout en suggérant son côté éphémère, comme un bel été qui finira forcément par s’en aller.

Cette dimension sentimentale et mélancolique, Kitano la cultivera par la suite dans Kids Returns, L’Été de Kikujiro ou encore dans son chef-d’œuvre Hana-Bi. Face à ces titres, A Scene at the Sea ne démérite absolument pas et cette esquisse, cette délicieuse épure s’avère être l’un de ses films les plus singuliers et l’un des plus beaux…

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