George : The Story of George Maciunas and Fluxus (2017) de Jeffrey Perkins (Éditions Re:Voir)

© Re:Voir films

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Construit de manière très classique, en suivant scrupuleusement la chronologie des faits, George s’attache à retracer de la manière la plus exhaustive qui soit la vie et l’œuvre de George Maciunas, artiste et théoricien qui fut le principal inventeur du mouvement Fluxus. Né en Lituanie comme son futur ami Jonas Mekas en 1931, George Maciunas émigre aux États-Unis après la seconde guerre mondiale et devient une figure importante de l'avant-garde américaine de cette seconde moitié du 20ème siècle. Influencé par John Cage, il ouvre une galerie, réalise des performances avec d’autres artistes et lance le mouvement Fluxus.

Outre l’intérêt biographique du documentaire de Jeffrey Perkins, George présente deux intérêts majeurs. D’une part, il nous offre un beau panorama de ce que purent être les mouvements d’avant-gardes aux États-Unis dans les années 60. A travers de nombreux documents et témoignages, on croisera le chemin d'artistes ayant compté à cette période : John Cage, La Monte Young, George Brecht, Yoko Ono, Nam June Paik, Ben Vautier ou encore Jonas Mekas… Le film témoigne de ce bouillonnement créatif et revient sur des événements marquants et/ou « scandaleux » comme cette performance en Allemagne où Maciunas et ses complices détruisirent un piano.

D’autre part, Jeffrey Perkins interroge à travers son film la notion d’ « art » et de mouvement artistique. A plusieurs reprises, on entend une question adressée à George Maciunas où il lui est demandé de définir ce qu’est « Fluxus ». C’est aussi à cette question que tente de répondre le documentariste. Est-ce un mouvement concerté ? L’agrégation informelle d’un archipel d’artistes regroupés sous la même bannière ? Ou la création artificielle d’un seul homme qui, par la suite, a imposé ce label en décrétant qui était Fluxus et qui ne l’était pas… On pourra constater que Maciunas avait une parfaite connaissance des mouvements d’avant-gardes du début du siècle dernier et qu’il aimait dresser des listes et concocter des tableaux très précis. Lorsqu’il lance Fluxus, il s’inscrit volontiers dans la tradition de Dada et des attentats contre l’art menés par Duchamp et Tzara. En ce sens, Fluxus se présente au départ comme un mouvement « anti-art » regroupant artistes conceptuels, performances et autre happenings désireux d'en découdre avec les pratiques artistiques traditionnelles. Pourtant, des divergences sont mises en lumières. Jean-Jacques Lebel explique qu’à la différence des happenings qu’il mettait lui-même en scène et dont la teneur était profondément anarchique et improvisée (avec notamment une importante participation du public), les performances de Maciunas étaient contrôlées et structurées. Lebel y voit même les traces de son attachement au communisme soviétique.

Lorsque Maciunas, entre diverses activités, entreprend d’acheter des milliers de boites de conserve, le parallèle avec Andy Warhol est fait. Mais là encore, le film souligne les divergences. Tandis que Warhol et le pop’art se satisfaisaient de la société de consommation dont ils illustraient les caractéristiques, Maciunas conserva toute sa vie une distance et une ironie critique. Là encore, plutôt que de recycler les trouvailles de Dada sur le marché de l’art, il tenta d’en faire perdurer l’esprit frondeur et critique.

Le film de Jeffrey Perkins illustre parfaitement tous les aspects de sa personnalité. D’un côté, le petit garçon passionné par les soldats de plomb qui conservera toujours une certaine « discipline » pour établir des listes, coucher sur papier des nomenclatures rigoureuses. De l’autre, le descendant des avant-gardes européennes tentant d’estomper les frontières entre l’art et la vie et désireux de dépoussiérer l’Art en le sortant du musée et des galeries.

Parfois drôle (le côté provocateur de Maciunas), parfois émouvant (ses derniers moments douloureux, son étrange mariage…), le film est une belle entrée en matière pour ceux qui s’intéressent aussi bien à Fluxus qu’à l’art contemporain américain de la seconde moitié du 20ème siècle.

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