Emanuelle et les derniers cannibales (1977) de Joe d’Amato avec Laura Gemser, Gabriele Tinti, Monica Zanchi, Susan Scott (Editions Artus Films) Disponible en DVD/BR à partir du 7 juillet 2020 (déjà disponible sur le site)

© Artus Films

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Egalement connu sous le titre Viol sous les Tropiques (tout un programme !), Emanuelle et les derniers cannibales représente une sorte de quintessence du cinéma « bis » selon Joe d’Amato. En effet, notre lascar a, tout au long de sa carrière, surfé sur les vagues des genres à la mode (du péplum au post-apocalyptique tendance Mad Max, de l’horreur gore au film de guerre en passant, évidemment, par toutes les nuances de l’érotisme, de l’exotisme coquin qui fit les belles soirées du dimanche soir sur M6 jusqu’au hardcore aseptisé et plutôt luxueux à la fin de sa carrière. Nous pourrions dès lors rejeter toute son œuvre (qui compte, soyons honnête, beaucoup de déchets) en estimant qu’il n’a jamais été rien d’autre qu’un vil tâcheron particulièrement racoleur. Pourtant, à revoir ses films aujourd’hui, ce sont leurs excès (qui peut oublier les atrocités gore d’Anthropophagous ou d’Horrible ?) qui leur donnent un certain charme, comme le parfum d’une époque révolue où tout était permis pour d’honnêtes artisans, y compris les dérapages les plus malsains (Cf. l’ahurissante scène « zoophile » de Caligula, la véritable histoire).

Emanuelle et les derniers cannibales illustre à sa manière l’Ars Poetica du « réalisateur fantôme » (comme l’a joliment surnommé Sébastien Gayraud dans l’admirable essai qu’il lui a consacré). On y trouve à la fois cette manière d’exploiter tous les filons imaginables pour racoler le chaland et cette façon inimitable qu’eut d’Amato de mêler les éléments les plus hétéroclites. En faisant appel à la divine Laura Gemser, le cinéaste poursuit la grande saga des « Black Emanuelle » (avec un seul « m »), ersatz transalpin souvent beaucoup plus youpitant que la saga française originelle. Cette Emanuelle est journaliste et enquête sur les dernières tribus cannibales survivant en Amazonie. Après avoir convaincu le scientifique Mark Lester de monter une expédition, elle embarque pour de nouvelles aventures au cœur de la jungle (le film a, en fait, été tourné en studio à Rome).

Joe d’Amato nous propose alors un mélange improbable des genres lucratifs de l’époque : le film de jungle et l’aventure exotique (avec l’attaque d’un python et des stock-shots de crocodiles menaçants), un soupçon de « mondo » (ces documentaires plus ou moins bidouillés et crapuleux qui naquirent dans le sillage de Mondo Cane) dont le cinéaste reprend certains motifs (le carton du début qui annonce un film tourné « d’après une histoire vraie », la dimension « ethnographique » du récit qui entend s’intéresser aux us et coutumes de tribus anthropophages…), le film de cannibales dont il est un peu le précurseur (certes, il y eut quelques années auparavant le film d’Umberto Lenzi Au pays de l’exorcisme) et, bien entendu, l’érotisme.

Ne trompons d’ailleurs pas nos aimables lectrices, le film est construit (comme Porno Holocaust quelques années plus tard) en deux parties inégales. Une première (qui dure en réalité les deux tiers du film) constituée de papouilles en tout genre et une seconde (le dernier tiers) dédiée aux exactions sanglantes. Certes, le film s’ouvre sur une scène assez traumatisante puisque à New-York, une infirmière d’un hôpital psychiatrique s’est fait arracher le sein par une patiente anthropophage, portant au-dessus du pubis un tatouage d’une tribu amazonienne. Mais très vite, d’Amato s’intéresse d’abord à son héroïne qui succombe au beau scientifique (Gabriele Tinti, à la ville l’heureux mari de Laura Gemser) et se livrera ensuite à une baignade coquine avec une charmante blondinette (Monica Zanchi) rencontrée au début de la mission. Les situations sont très classiques : tandis que le couple Emanuelle/Mark fait l’amour, la jeune Isabelle les observe et s’en trouve tout émoustillée. Plus tard, c’est la belle Maggie (Susan Scott) qui se caresse langoureusement en contemplant un beau Noir musculeux à qui elle prodiguera par la suite quelques gâteries… Je ne m’appesantis pas davantage : vous avez compris le principe. Toutefois, il convient de signaler qu’à la différence de Porno Holocaust, l’érotisme d’Emanuelle et les derniers cannibales reste constamment soft.

Plus « hard » sera, en revanche, la dimension horrifique de la dernière partie où Joe d’Amato, quelques années avant Anthropophagous, s’en donne à cœur joie dans le gore craspec. Toujours dans une certaine tradition du « Mondo », Mark présente un petit film « documentaire » à Emanuelle qui montre un homme se faire découper les organes génitaux au couteau (et en gros plan, s’il vous plait !). Amateur de sensations fortes, notre cinéaste vise toujours les parties « sensibles » du corps humain pour provoquer des frissons. Et c’est peu dire qu’il ne prend pas de pincettes pour se complaire dans le gore carnavalesque : une bonne sœur de la mission se fait découper et arracher un téton, Maggie est éventrée et les cannibales la vide de tous ses organes internes. Enfin, plus original, l’aventurier Donald est sanglé au niveau de la taille par une corde que tirent les cannibales et qui finit par le… couper en deux !

On l’aura compris, Emanuelle et les derniers cannibales s’adresse à un public d’amateurs. Mais dans le genre, en dépit de ses défauts, il se révèle plutôt sympathique et amusant, à l’image de la carrière de ce roublard et honnête (je sais, ça peut sembler paradoxal) artisan que fut ce cher Joe d’Amato…

 

NB : Comme toujours, Artus films a bien fait les choses et nous offre un magnifique livret signé David Didelot pour accompagner les galettes. L’auteur « autopsie » le film de manière très précise et le replace dans la longue généalogie des « Black Emanuelle ». En supplément des disques, on retrouvera David Didelot qui, en vingt minutes riches et passionnantes, brosse un panorama de l’étonnante carrière de Joe d’Amato.

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