Femmes des années 80
Tootsie (1983) de Sydney Pollack avec Dustin Hoffman, Jessica Lange, Bill Murray, Geena Davis, Sydney Pollack (Editions Carlotta films) Sortie en coffret collector le 17 juin 2020
En s’amusant à disséquer froidement le film, on pourra constater que Tootsie est construit autour de deux axes. D’un côté, un versant comédie dont le modèle absolu demeure Certains l’aiment chaud de Billy Wilder. Michael Dorsey (Dustin Hoffman) est un comédien au chômage, incapable de trouver un rôle tant son mauvais caractère l’a rendu indésirable dans la profession. Après un concours de circonstances, il décide de postuler pour un soap et y décrocher… un rôle féminin. Travesti en Dorothy, il devient la vedette de ce feuilleton bas de gamme.
Pollack reprend à son compte tous les quiproquos imaginables avec un personnage d’homme travesti en femme, ceux que Wilder avait d’ailleurs immortalisés : la promiscuité gênante et émoustillante avec d’autres femmes (discuter avec Geena Davis en lingerie, c’est tout de même un beau rêve !), les avances pressantes d’autres hommes, l’amitié ambiguë avec une femme dont l’imposteur tombe amoureux (Marylin chez Wilder, Jessica Lange chez Pollack) et même la demande en mariage pour couronner le tout…
Soyons honnête, même si certains gags font mouche et que les comédiens font preuve d’un bel abattage (Dustin Hoffman en tête), Pollack n’est pas Wilder et son film souffre parfois de quelques chutes de rythme (il aurait gagné à durer 20 minutes de moins). La mise en scène manque de caractère pour parvenir à rendre plus percutants les situations et les gags.
Mais, d’un autre côté, ce qui intéresse le cinéaste est peut-être moins la pure mécanique comique (où il n’excelle pas) qu’une peinture assez fine des mœurs de son époque. Et c’est sans doute sur ce versant que Tootsie mérite toujours d’être vu. Le cinéaste nous offre une vision assez juste des mœurs des années 80, à la fois piquante et presque dépressive par moment.
En effet, en revoyant le film aujourd’hui, on est surpris de voir que tous les personnages sont solitaires et, pour reprendre une expression d’ A l’abordage, des « galériens ». Michael ne trouve pas de rôle, Julie sort avec son réalisateur volage mais est malheureuse (elle élève seule sa fille et boit pas mal), Jeff (Bill Murray), le colocataire de Michael, est un auteur raté qui ne parvient pas à monter sa pièce et Sandy, une actrice célibataire qui ne parvient pas à trouver de rôle… Le cinéaste traduit bien cette atmosphère un brin cafardeuse des années 80 et il fait preuve d’une véritable acuité lorsqu’il s’attache à la condition féminine. Je n’aime pas appliquer des grilles de lecture « féministes » aux œuvres mais, dans le cas de Tootsie, on pourra constater que Pollack aborde déjà des questions qui font toujours beaucoup couler d’encre : le harcèlement au travail, la place des femmes au cœur de l’industrie du show-business (ceci dit, c’était déjà vrai dans Certains l’aiment chaud). Devenu Dorothy, Michael se voit affublé de petits sobriquets familiers (« Honey », « Tootsie »…) qui finissent par l’agacer et il demande à ce qu’on l’appelle par son prénom. D’autre part, son nouveau statut de femme lui vaut une accumulation de drague lourde et de demandes pressantes.
Toute la vis comica de l’œuvre repose sur les moyens déployés par Dorothy pour éviter toutes ces avances. En refusant qu’un acteur l’embrasse sur le plateau et en modifiant le scénario du soap, elle se retrouve bien involontairement propulsée « icône féministe ». Et Pollack de jouer sur ce décalage entre le symbole involontaire que devient « Tootsie » et la réalité du personnage.
Nous n’irons pas jusqu’à en faire un film militant (heureusement !) mais cette manière qu’à Pollack de saisir un certain « air du temps » (de la difficulté pour les femmes de trouver leur place dans une société sclérosée, entre désir légitime d’émancipation et solitude) fait tout le prix de ce joli Tootsie.
NB : Le film sort dans la collection de ces magnifiques coffrets édités par Carlotta (c’est le 16ème). Outre les suppléments proposés avec les disques (making-of, des scènes coupées, les essais vidéo de Dustin Hoffman…) et un magnifique écrin, le film est accompagné d’un copieux livret narrant les diverses étapes de sa création. Les collectionneurs et les fans du film de Pollack seront aux anges…