Cinémiracles, l’émerveillement religieux à l’écran (2020) de Timothée Gérardin (Playlist Society, 2020) Sortie le 25 août 2020.

Voir l'invisible

L’idée a souvent été avancée mais il existe un parallèle évident entre l’amour du cinéma et l’expérience religieuse. La salle obscure comme lieu de rassemblement et de communion face à des images révélées, les dogmes et les schismes au sein de la communauté des fidèles (ne parlait-on pas de chapelles cinéphiles ?) et ce pacte de croyance liant spectateur et images projetées, un peu à la manière du pratiquant se rendant dans une église en étant persuadé que le Christ s’y trouve vraiment.

De fait, les sujets religieux ont souvent été abordés par le septième art, qu’il s’agisse de la vie de Jésus (de Méliès à Mel Gibson en passant par Pasolini), des récits bibliques en tout genre (Cecil B. DeMille en tête) ou encore de l’évocation des exploits de certains saints (Jeanne d’Arc, pour prendre l’exemple le plus fameux). Timothée Gérardin, déjà auteur d’un très bel essai sur Christopher Nolan, s’intéresse moins à ce « corpus religieux » qu’à la représentation du miracle permettant de toucher à une certaine extrémité de la croyance en perturbant l’ordre naturel du monde et en faisant advenir l’invisible au cœur du visible. Le miracle peut, bien évidemment, être un élément important des films abordant le phénomène religieux mais il ne se limite pas à ce cadre, pouvant intervenir dans des films d’une autre nature (nous n’aurions pas parié, avant de lire cet essai, sur une petite exégèse de Bruce tout-puissant de Tom Shadyac !)

Après avoir défini le terme de « miracle » en montrant bien qu’il ne pouvait intervenir que dans un cadre réaliste, s’opposant ainsi au surnaturel ayant cours dans le cinéma fantastique ou de science-fiction où ces phénomène ne suscite pas la surprise et l’étonnement (« Le chevalier d’un conte de fées ne s’étonne pas de l’existence de dragons, ni Luke Skywalker de voir se lever deux soleils à l’horizon. »). Comme le souligne très pertinemment l’auteur : « pour parler de miracle, il est plus pertinent de s’appuyer sur la notion d’émerveillement que sur celle de merveilleux. » De la même manière, ce miracle est d’abord un signe de Dieu et il « n’a de sens que dans un contexte donné, et dans une relation avec la foi de ceux qui l’interprètent ».

Timothée Gérardin dresse alors une typologie des formes que prend ce miracle qui épousent d’ailleurs les caractéristiques du cinéma : soit il advient par la parole (dans Ordet de Dreyer), soit par l’image comme dans Les Dix Commandements de DeMille. Cette approche lui permet également de développer plusieurs aspects du miracle : qu’il soit accompli par Jésus (chez Pasolini ou George Stevens) ou qu’il révèle une nature plus ambivalente (« Le mal n’est pas étranger au sacré, par essence ambivalent ») que ce soit chez Scorsese (La Dernière Tentation du Christ) ou dans des films présentant « le crime comme un miracle négatif » (Rashomon de Kurosawa, La Source de Bergman ou Sous le soleil de Satan de Pialat). 

L’une des forces de l’essai est de ne jamais être sulpicien et de montrer avec malice les « revers » du miracle, analysant aussi bien les œuvres iconoclastes dénonçant la marchandisation de la foi (Le Miraculé de Mocky) que les films mettant en scène le « silence de Dieu » comme chez Bergman (Les Communiants) ou Paul Schrader (First Reformed). Le court chapitre consacré à Théorème de Pasolini et La Voie lactée de Buñuel est également passionnant, montrant le côté « surréaliste » du miracle et une certaine « croyance en la portée révélatrice de l’œuvre d’art, qu’elle soit consciente ou inconsciente, volontaire ou involontaire ».

La dernière partie de l’essai s’attache à la dimension ordinaire du miracle et s’appuie sur les théories de Bazin sur l’ontologie de l’image photographique : c’est l’image projetée, par sa capacité à reproduire la réalité, qui devient par essence miraculeuse, témoignant d’un certain ordre « divin » des choses. Ce « miracle ordinaire », c’est celui qui est à l’œuvre dans certaines œuvres néoréalistes mais aussi dans celles où un « miracle invisible » semble être l’œuvre d’un deus ex machina que l’auteur perçoit chez Ferrara (Bad Lieutenant), Kieslowski (le premier volet du Décalogue) ou encore Doillon (Ponette).  

On l’aura compris, ce tour d’horizon s’avère à la fois très complet et passionnant, proposant une analyse qui parlera aussi bien aux croyants qu’aux « athées grâce à Dieu » car l’élément miraculeux qui est décrit ici dans sa dimension théologique s’applique également à une certaine foi que tout cinéphile possède lorsqu’il entre dans une salle obscure pour y chercher, à son tour, une forme d’émerveillement.

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