Coffret Ray Harryhausen n°3 (Editions Sidonis Calysta) Sortie le 15 octobre 2020

Le monstre vient de la mer (1955) de Robert Gordon

Les soucoupes volantes attaquent (1956) de Fred F. Sears

A des millions de kilomètres de la terre (1957) de Nathan Juran

© Sidonis Calysta

© Sidonis Calysta

L’Amérique des années 50, c’est la guerre froide, la peur du communisme, la menace nucléaire mais également la conquête spatiale et un désir d’expansion. Tous ces thèmes, ces inquiétudes ressurgissent évidemment dans les films de l’époque mais particulièrement dans le cadre du cinéma de science-fiction. Les trois films proposés aujourd’hui par les éditions Sidonis témoignent des angoisses d’un monde incertain. Tous les trois produits par la Colombia, ils partagent également le même concepteur d’effets-spéciaux : la grand Ray Harryhausen.

Avant de s’aventurer plus loin, précisons d’emblée pour qu’il n’y ait pas tromperie sur la marchandise que ces œuvres relèvent de la plus pure tradition de la série B (voire Z) américaine. Le monstre vient de la mer et Les soucoupes volantes attaquent ont d’ailleurs été produits par le redoutable Sam Katzman, prolifique pourvoyeur de cinéma bis en tout genre. Dès lors, il ne faut pas s’attendre à de grands spectacles époustouflants et mes aimables lecteurs, du moins ceux peu familiarisés avec le genre, risquent de trouver le résultat oscillant entre le navrant et le totalement ringard. En revanche, les plus curieux d’entre vous, les amateurs d’antiquités improbables pourront aussi trouver un vrai charme suranné à ces films venus de la nuit des temps.

L’angoisse de l’attaque venue d’ailleurs (notamment d'union soviétique) imprègne particulièrement Les soucoupes volantes attaquent de Fred F.Sears. Sans préambule, des extra-terrestres arrivent sur terre et menacent la civilisation si les humains ne se plient pas à leurs exigences. Après le roman de Wells, la fameuse émission de radio d’Orson Welles et l’adaptation cinématographique de Byron Haskin, le cinéaste surfe sur le succès de La Guerre des mondes et nous propose une nouvelle version de l’invasion venue de l’espace. L’atmosphère est tout de suite très belliqueuse et jamais le film ne nous dit que l’Autre pourrait aussi venir pacifiquement. Immédiatement envisagé comme des ennemis, il s’agira de trouver le plan le plus rapide pour se défendre et réduire en poussière l’adversaire. Le plus amusant dans le film est de voir à quel point il a influencé le Mars Attacks ! de Tim Burton. Les soucoupes volantes ont exactement le même design, elles peuvent être détruites d’une manière assez similaire (non pas avec une chanson ringarde mas grâce à des ultra-sons) et lorsque les extra-terrestres s’emparent des humains, ils contrôlent leur cerveau qui apparaît en transparence comme sous l’effet de rayons X. Comme souvent dans le genre, le film souffre de problèmes de rythme et s’avère souvent bavard. Il décolle (si j’ose dire) un peu lorsqu’arrivent les scènes spectaculaires où Harryhausen s’en donne à cœur joie avec les transparences (les soucoupes passent même devant la tour Eiffel), les caches et les destructions massives. Même si ces trucages naïfs peuvent paraître un peu désuets, ils conservent un charme fou et satisferont les amateurs pas trop exigeants.

© Sidonis Calysta

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Si le film de Sears s’inscrit dans la lignée de La Guerre des mondes, celui de Nathan Juran, A des millions de kilomètres de la terre, nous propose une variation autour du mythe de King Kong et de Godzilla. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre du film, le récit ne se déroule pas dans une lointaine galaxie mais en Sicile où un vaisseau spatial échoue après une longue mission. Un seul homme a survécu au naufrage et il cherche à mettre la main sur une capsule contenant une vie extra-terrestre. Sauf que ledit objet a été trouvé par un garnement qui s’est empressé de monnayer cette sorte de grosse larve à un docteur romain. Très vite, la bestiole prend des proportions effrayantes et va s’attaquer à la population.

Avec son torse humain, sa queue de dinosaure et son visage de lézard, le « craignos monster » (comme les avait affectueusement nommés Jean-Pierre Putters dans une série de livres mythiques) permet à Harryhausen de s’adonner aux joies du « stop-motion ». Le film est divisé en deux parties. La première, en Sicile, permet d’exposer les enjeux du récit et de montrer l’évolution de la créature. Capturé comme King Kong, le monstre est transporté dans un zoo à Rome lors d'une deuxième partie lui offrant l’occasion de s’évader et de semer la panique dans la capitale avant d’être anéanti. Le film réserve quelques jolis moments de bravoure comme le combat entre la créature vénusienne et un éléphant ou comme la destruction du Colisée (qui remplace l’Empire State Building de King Kong). Mais là encore, le film souffre de chutes de rythmes et Ray Harryhausen se montrera encore plus inspiré lorsqu’il retrouvera Nathan Juran sur Le Septième Voyage de Sinbad.

© Sidonis Calysta

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Après la menace communiste, les angoisses liées à la conquête spatiale et à la découverte de l’inconnu, c’est le danger nucléaire qui donne son point de départ au Monstre vient de la mer. En effet, ce sont des bombes à hydrogène qui dérangent une sorte de pieuvre géante et qui la poussent à sortir des bas-fonds marins où elle vivait en toute quiétude. Le film de Gordon (cinéaste assez obscur) s’inscrit dans la lignée des films d’animaux gigantesques (la même année, Jack Arnold signait un Tarantula beaucoup plus convaincant). Les défauts des trois films du coffret apparaissent de manière encore plus flagrante ici : emphase d’une voix-off pseudo-scientifique qui prend en charge le récit, longues plages dialoguées un tantinet ennuyeuses, une mise en scène assez statique (les deux autres l’étaient un peu moins) et un intérêt qui ne s’éveille que lorsque Ray Harryhausen se livre à ses prouesses. Ici, on imagine un budget assez riquiqui tant les scènes de bravoure sont rares. On citera néanmoins celle où la pieuvre s’accroche et détruit le Golden Gate. Avec son commandant de sous-marin extrêmement phallocrate et sa belle scientifique qui ne se laisse pas faire (« une nouvelle race de femmes » est-il dit dans les dialogues), le film amuse parfois d’un point de vue sociologique car il montre déjà les tensions naissantes entre une société patriarcale extrêmement rigide et un désir des femmes de s’émanciper. N’en faisons pas un film « féministe » mais une œuvrette un peu poussive, sans doute la plus faible des trois.

Pour conclure, soulignons qu’en dépit du caractère un peu désuet des films, les éditions Sidonis ont fait un excellent travail éditorial. Il ne s’agit en aucun cas de se contenter d’exhumer des « nanars » antédiluviens pour les monnayer à peu de frais mais de proposer un ensemble cohérent et accompagné. Outre d’excellentes copies des œuvres (proposées également en versions colorisées), les films regorgent de suppléments qui réjouiront les amateurs : des entretiens avec le maître des effets-spéciaux (notamment un dialogue avec Tim Burton, forcément !), des versions commentées des films, des documentaires sur les musiciens des œuvres… Bref, du très beau travail.

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