L'horreur adolescente
Teen Horror : de Scream at It Follows (2020) de Pascal Françaix (Editions Rouge Profond, 2020)
Après avoir consacré un essai passionnant au « Torture Porn », Pascal Françaix continue d’arpenter les territoires de l’horreur contemporaine et s’intéresse à la « Teen Horror », vaste contrée regroupant divers sous-genres (slasher, films d’exorcisme…) mettant en scène des groupes d’adolescents et s’adressant essentiellement à un public de cette tranche d’âge.
L’immense intérêt du travail de Pascal Françaix tient à cette manière de réfléchir à des corpus de films encore peu étudiés et à l’évolution d’un genre dont les thuriféraires sont souvent très conservateurs. En effet, les afficionados du cinéma fantastico-horrifique (et je m’inclus volontiers dans le lot) sont volontiers nostalgiques et attachés aux formes qui se sont épanouies pendant une sorte d’âge d’or du genre (pour schématiser à l’extrême, disons les années 70 et 80). Et c’est souvent à l’aune de ces œuvres séminales pour la génération qui a grandi avec la VHS que sont désormais jugés les visages plus récents de l’horreur. Par ailleurs, pour l’auteur, « l'étude académique/universitaire du cinéma d'horreur s'est majoritairement opérée par le biais de la psychanalyse, des théories féministes (surtout aux Etats-Unis), de l'auteurisme et du formalisme (en France). Ces approches s'accompagnent d'une tendance à appréhender les films comme des entités autonomes, des univers clos sans connexion avec la société et ses évolutions, y compris dans le cas très politisé de la lecture féministe, portée à discuter des rapports sociaux de sexe et du genre depuis l'intérieur même du texte filmique et sans s'en extraire. C'est ainsi que certains concepts définis il y a vingt ou trente ans continuent d'être imperturbablement appliqués à des cycles d'œuvres récentes, reflétant des conditions sociales et culturelles avec lesquelles ils ne concordent plus vraiment, voire plus du tout. Il me paraît utile de se demander dans quelle mesure les changements ayant eu cours dans la société et au sein de la jeune génération ont infléchi la nature de la teen horror. »
On l’aura compris, ce qui intéresse Pascal Françaix est de saisir une évolution du genre et la manière dont ses mutations accompagnent le mouvement de la société dans son ensemble. A ce titre, il poursuit sa réflexion entamée dans son livre sur le « torture porn » en cernant les contours de ce qu’il définit comme l’horreur « postmoderne ».
Pour mener à bien cette réflexion, l’auteur s’appuie sur de nombreuses théories universitaires, notamment américaines. Mais au lieu d’essayer d’importer benoitement lesdites théories et de les appliquer scolairement (suivez mon regard), il les questionne, les confronte entre elles, les remet en question et n’oublie jamais de s’appuyer sur les œuvres avant de les faire entrer de force dans une grille préétablie. Cette approche dialectique se révèle à la fois passionnante et extrêmement stimulante car elle nous oblige à revoir nos jugements, à questionner nos aprioris et à nous remettre en question. Je pense, par exemple, à ce long chapitre consacré aux remakes (de Massacre à la tronçonneuse, Halloween ou encore Carrie, Vendredi 13 et Les Griffes de la nuit) sur lesquels Pascal Françaix porte un nouvel éclairage nous obligeant à aller au-delà de nos réticences. Loin de n’être que des opérations commerciales visant à faire connaître ces œuvres à un nouveau public jeune, ces films témoignent à leur manière des questions nouvelles dont s’est emparé le cinéma d’horreur contemporain : la fluidité des genres, le rapport au sexe et à la culpabilité, les mutations de la famille… Pascal Françaix s’appuie, par exemple, sur le mythe de Perséphone pour analyser les évolutions des personnages féminins au sein de la « teen horror » et des nouveaux rapports psychanalytiques (notamment par rapport à la figure maternelle) désormais en jeu.
La question du genre et des théories féministes intégrées à l’univers des films d’horreur est disséquée avec beaucoup de justesse. L’auteur souligne que depuis le milieu des années 90 et Scream (le premier chapitre est consacré à cette saga), le cinéma d’horreur pour et avec les adolescents intègre en son sein les discours portés sur le genre. S’il le fait parfois de manière directe et méta (Scream, La Cabane dans les bois…), il se traduit le plus souvent dans l’élaboration des situations et des personnages. En regroupant divers films sous un angle thématique (le néo-slasher, les films d’exorcisme, les sororités, l’horreur au masculin…), il s’agit à chaque fois de montrer un visage de la postmodernité qu’ils représentent : la liquéfaction des frontières de sexe et de genre, le règne du simulacre (plus que de la parodie à laquelle on a voulu réduire les Scream) qui se traduit notamment dans les films mettant en scène les nouvelles technologies et un positionnement ambivalent face au « post-féminisme ».
Si Teen Horror : de Scream à It Follows s’avère si réussi, c’est que Pascal Françaix n’assène jamais de leçons (films « réactionnaires » ou « progressistes », par exemple) et préfère au contraire souligner l’ambiguïté des œuvres, leurs zones grises… Il ne s’agit pas de donner des bons et mauvais points (même si on aurait aimé, mais ce n’est pas l’objet de l’essai, un peu plus d’analyses « formelles » car, pour prendre un exemple, si je n’aime pas du tout le Massacre à la tronçonneuse de Nispel, c’est moins par révérence pour le chef-d’œuvre original qu’en raison de l’esthétique clippesque du remake) que de chercher des aspects contradictoires et mouvants qui font la richesse de cette horreur contemporaine.
Et comme tout bon livre consacré au cinéma, l’étude de Pascal Françaix donne furieusement envie de découvrir les films choisis pour ce corpus et de se plonger dans ce territoire fascinant de l’horreur adolescente…