Docteur Cyclope (1940) d’Ernest Schoedsack

Le Peuple de l’enfer (1956) de Virgil Vogel

Le Monstre des abimes (1958) de Jack Arnold

(Editions Elephant Films) Sortie en DVD et BR le 27 octobre 2020

© Elephant films

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Pour conjurer les temps infernaux que nous vivons, rien de mieux que de se replonger dans les cauchemars d’antan. Après une salve de trois films autour du maître des effets-spéciaux Ray Harryhausen sortis chez Sidonis, c’est au tour d’Elephant Films de nous proposer trois séries B venues des studios Paramount et Universal. Trois films inégaux, au charme désuet mais non dénués de qualités.

Le plus ancien, Docteur Cyclope, est aussi celui qui a bénéficié du plus de moyens puisqu’il s’agit du premier film de science-fiction tourné en Technicolor. Réalisé par Ernest Schoedsack, cinéaste bien connu des amateurs puisqu’il fut le co-auteur de King Kong et des Chasses du comte Zaroff, le film témoigne une fois de plus de son goût pour les aventures exotiques et la jungle (rappelons qu’il a tourné Chang, un documentaire sur la lutte quotidienne d’un jeune paysan pour sa survie dans cet environnement hostile). Il s’intéresse ici à un savant fou qui a découvert un gisement d’uranium et qui utilise le radium pour mettre au point une machine capable de faire rétrécir les êtres vivants. Ayant convié deux scientifiques, accompagnés d’un ingénieur et d’un guide, le docteur Thorkel les utilise comme cobayes…

Disons-le tout net : on est très loin du génie horrifique et poétique de King Kong. Le scénario est plutôt mal fichu et l’ambiance générale fleure bon les invraisemblances de la bonne série B d’antan, en dépit de moyens conséquents. Pourtant, le film distille un irrésistible charme tenant à son jeu sur les proportions. La première apparition d’un cheval miniaturisé produit toujours, même aujourd’hui, un effet d’émerveillement assez irrésistible. Réduits à des lilliputiens, la suite des aventures de nos personnages est assez classique et annonce déjà le chef-d’œuvre de Jack Arnold L’homme qui rétrécit. Il s’agit d’abord de composer avec un environnement devenu gigantesque (utiliser des livres pour atteindre une poignée de porte) puis de lutter contre des obstacles imprévus et inoffensifs en temps normal (le traditionnel chat devenu bien belliqueux). Enfin, il s’agit de s’organiser pour fuir et/ou vaincre l’affreux démiurge qui a causé cette catastrophe.

Les couleurs sont chatoyantes (louons la parfaite qualité de la copie proposée), le rythme plutôt enlevé et les effets de transparence fonctionnent plutôt bien même si de faux membres gigantesques (la main du docteur Thorkel) sentent parfois le carton-pâte. Le résultat n’est pas inoubliable mais très agréable et distrayant.

© Elephant Films

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Le Peuple de l’enfer de Virgil Vogel est, en revanche, le plus faible du lot. Une seule originalité : plutôt que d’explorer les espaces infinis de l’univers et de la vie extra-terrestre, le film prend le parti de tabler sur la découverte d’une civilisation vivant sous la croute terrestre et adorant la divinité Ishtar. Suite à un séisme, une équipe d’archéologues se retrouve sous terre et découvre ladite civilisation où de grands prêtres (semblables aux humains mais incapables de supporter la lumière) règnent sur d’étranges créatures esclaves. Dans un premier temps, le film semble marcher sur les traces de Jules Verne et son Voyage au centre de la terre (petit pincement au cœur nostalgique en se souvenant du beau film d’Henry Levin avec James Mason) avant de se poursuivre en fable quasi gnostique (avec ces prêtres initiés, seuls capables de voir la lumière d’Ishtar et condamnant les autres à l’esclavage). Sur le papier, le film pourrait être passionnant mais à l’écran, il s’agit d’une petite série B souffreteuse où tout sent le carton-pâte et les costumes caoutchouteux. Passons également sur la bluette sentimentale qui vient se greffer sur le récit principal (une des prisonnières de ce peuple des abimes supporte la vue du soleil) qui n’apporte rien à un récit déjà peu passionnant. Ce pot-pourri de légendes et de mythes (civilisation sumérienne, mésopotamienne, mythe de l’Atlantide…) manque cruellement de nerfs et de moyens pour être vraiment intéressant même si les amateurs de kitsch y trouveront sans doute quelques raisons de se réjouir.

© Elephant Films

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Pourtant, la taille du budget ne fait pas tout, comme le prouve le très réussi Monstre des abimes de Jack Arnold. Là encore, l’économie du film est très modeste et avouons d’emblée que les scènes où apparait le monstre sont les plus faibles tant le costume de l’acteur paraît suranné (idem pour la libellule géante au vol extrêmement raide). Pourtant, en dépit de ce handicap, l’œuvre fonctionne bien. Un professeur et chercheur à l’université fait rapporter de Madagascar un cœlacanthe mais ce poisson-fossile va provoquer une série de catastrophes. Après avoir bu un peu d’eau ayant servi à son transport, un chien devient particulièrement agressif et ses mâchoires ressemblent à celle d’un loup. Quant à Donald Blake, il s’écorche la main en transportant la bestiole et se transforme en monstre primitif semant la terreur…

Il y a un côté Docteur Jekyll et Mister Hyde dans le film de Jack Arnold, ainsi que quelques réminiscences de L’Étrange Créature du lac noir puisque Blake se trouve confronté à sa fiancée et semble avoir conservé quelques sentiments humains derrière sa nouvelle apparence monstrueuse. Ce dilemme qui meut le scientifique, entre une façade « civilisée » et la bête tapie en lui, fait tout l’intérêt d’un film qui souligne la fragilité de ladite civilisation et la frontière très mince qui nous sépare de la barbarie (l’actualité récente ne fait que confirmer, malheureusement, cette assertion).

La mise en scène d’Arnold est alerte et la narration efficace. Si les effets-spéciaux font un peu sourire, ils n’obèrent en rien l’intérêt que l’on peut porter à un récit bien mené. Cette fois, c’est de la série B au sens noble du terme : une économie de moyens au service de la plus grande efficacité possible. Et on en redemande…

 

Suppléments. Si l’on me permet de poursuivre la comparaison avec la salve de films sortis chez Sidonis, je dirais que les titres proposés par Elephant sont supérieurs mais que les bonus présentent beaucoup moins d’intérêt. Ils se limitent à une présentation des films. Celle d’Eddy Moine pour Docteur Cyclope est très dispensable dans la mesure où notre homme se contente d’énumérer des fiches techniques avec un débit qui ferait passer Antoine de Caunes pour un Suisse sous Tranxène. Les deux autres présentations, par Jean-Pierre Dionnet, sont un peu plus personnelles et habitées, mais restent néanmoins très factuelles.

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