Michel Ocelot : ombres et lumières (sous la direction de Roland Carrée). Revue Éclipses n°67, Décembre 2020

A la découverte de Michel Ocelot

Dans un essai récent (Critique & université : les lois de l’hospitalité), David Vasse soulignait les difficultés de concilier en France deux approches du cinéma. D’un côté, l’approche « objective » et « scientifique » de l’université, travaillant forcément sur un corpus d’œuvres déjà reconnues et l’approche plus subjective de la cinéphilie telle qu’elle fut défendue dans les revues. D’une certaine manière, la revue Éclipses cherche à réconcilier ces deux pôles. Son angle d’attaque est, pour le coup, très universitaire : les textes sont problématisés, l’argumentation est rigoureuse et, avouons-le, certains d’entre eux se révèlent plutôt ardus si le lecteur n’a pas les films bien en tête. Mais, son champ d’investigation dépasse pourtant le cadre étroit des simples auteurs déjà adoubés. Même si elle revient régulièrement sur des cinéastes reconnus (Pialat, Clouzot, Forman ou récemment Varda), la revue n’hésite pas à jouer les éclaireuses en s’arrêtant sur des œuvres en cours (Shyamalan, Nolan, James Gray) ou en s’intéressant au cinéma d’animation. Après Takahata il y a deux ans, c’est au tour de l’œuvre de Michel Ocelot d’être disséquée avec acuité par les membres de la rédaction d’Éclipses.

Ocelot a une carrière atypique, débutant par des œuvres de commande (des spots télévisuels), des courts-métrages d’animation pour adultes, des films d’entreprise et une fameuse série (Gédéon). En 1998, il connaît un succès international avec le beau Kirikou et la sorcière. Dès lors, le cinéaste se plait à explorer divers domaines et techniques puisqu’il a eu recours aussi bien aux papiers découpés qu’à la 3D, à l’animation traditionnelle qu’aux images réelles (un clip pour Björk).

Les deux premières parties de la revue nous proposent une approche chronologique. La première revient sur les origines du cinéma d’Ocelot. Tandis que Louise Van Brabant analyse la manière dont le réalisateur « réinvente l’espace des silhouettes », cette technique assez singulière où les personnages évoluent entre fixité et métamorphose ; Xavier Kawa-Topor estime que son court-métrage « pour adultes » (Les Quatre Vœux, 1986) a, paradoxalement, presque valeur de manifeste pour une œuvre qui s’adressera pourtant par la suite aux plus jeunes.

La deuxième partie s’intéresse aux longs-métrages d’Ocelot et à son rapport aux contes. Là encore, il y est question de métamorphose, de corps et Carole Wrona propose une étude intéressante sur la fonction du « happy end » chez le cinéaste.

Les deux parties suivantes abordent l’œuvre de manière plus thématique et transversale. D’abord en analysant les différentes techniques d’Ocelot et en éclairant les enjeux esthétiques de son cinéma, s’attachant ici au décor (Damien Detcheberry), là à l’architecture (Rabéa Ridaoui) ou encore à son approche du clip (un texte passionnant de Nicolas Thévenin).

Enfin, la revue revient sur une dimension fondamentale du cinéma d’Ocelot : son goût pour le métissage culturel. Aurélie Bardin étudie l’influence des mythes grecs dans ses films (qu’il s’agisse d’Icare, de Thésée, d’Aphrodite ou de Prométhée). Rachid Naim propose une exégèse passionnante sur la question de l’altérité arabo-musulmane, notamment dans Azur et Asmar et Dilili à Paris. Quant à Myriam Villain, elle analyse également le film Dilili à Paris en le comparant son esthétique et sa construction à une matriochka (poupée russe).

Ce beau numéro, très complet, s’achève par un entretien avec Michel Ocelot et donne envie de découvrir (car, pour ma part, j’ai oublié de le préciser mais je n’ai vu que Kirikou et la sorcière !) cette œuvre atypique et généreuse.

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