Snuff (1976) de Michael et Roberta Findlay

Il entrerait dans la légende

La tête d’une femme effrayée, en train de hurler, entre deux mains anonymes et, surtout, un slogan accrocheur : « le film que vous n’oserez JAMAIS voir jusqu’au bout ». Cette jaquette, je l’ai souvent vue en trainant dans les rayons de mon vidéo-club favori et, plus d’une fois, ce film m’a fait de l’œil.

Flash-back : en ce début des années 90, je suis interne dans un lycée dijonnais. Avant de nous reconduire à la maison les vendredis soir, notre mère fait un petit crochet par le Mammouth sis à la sortie de l’agglomération et nous laisse, mon frère et moi, louer des films pour le week-end. Pour le jeune cinéphage que je suis, il s’agit d’accumuler des réserves pour les jours qui viennent même si des rituels comme le « Ciné-Club » de Claude-Jean Philippe (le vendredi sur la 2) et le « Cinéma de minuit » le dimanche soir (sur la 3) sont déjà instaurés. Rendez-vous auxquels il faut ajouter « Le Film de Minuit » les samedis sur la Télévision Suisse Romande qui me permet de découvrir les grands classiques du cinéma fantastico-horrifique : Halloween et The Thing de Carpenter, Massacre à la tronçonneuse et Poltergeist de Tobe Hooper et beaucoup d’autres.

Grâce aux VHS, je peux assouvir mon goût pour ce cinéma de genre, goûter aux plaisirs interdits du cinéma « gore » (Re-animator) mais aussi aux styles différents d’auteurs explorant les continents inconnus de la nature humaine : Wes Craven, David Cronenberg, David Lynch… Le cinéma est alors pour moi une manière de transgresser les interdits, de repousser certaines limites. Pourtant, je reste, par certains côtés, inhibé. Je n’ose tenter les films qui mêlent à l’horreur un érotisme assez poussé (du moins, d’après ce que suggèrent les jaquettes). Aucune envie que mes parents passent dans la salle où se trouve la télévision alors que se déroulent à l’écran des ébats brûlants ! Et il y a ces « films limites » que je n’ose louer, à l’instar de cet Au-delà qu’un copain m’a raconté dans les grandes lignes. Je ne découvrirai le cinéma de Fulci que beaucoup plus tard. Snuff fait partie de ces limites que je n’ose alors franchir. Et bizarrement, cette œuvre était d’ailleurs déjà entrée dans la légende à cause de cette fin qu’aucun spectateur n’oserait voir.

Pourquoi donc ? Parce qu’après un film relativement classique dont nous allons reparler, nous voilà projetés à l’issue d’un raccord particulièrement foireux (l’actrice n’est plus la même et ne porte pas les mêmes habits) sur le tournage dudit film. Le réalisateur weinsteinien propose alors à sa comédienne de faire des « trucs » sur le lit à leur disposition, ce à quoi elle consent plus ou moins jusqu’à ce qu’elle réalise que les techniciens sont en train de les filmer. Refusant d’être livrée en pâture aux caméras, elle provoque l’ire de l’agresseur qui décide de donner un « vrai » spectacle à ses spectateurs en lui sectionnant un doigt avec une pince, en lui taillant une jambe avec une scie et en lui sortant les intestins du ventre après l’avoir éventrée.

La scène est gore mais peu réaliste. Pourtant, le dispositif est tel que la légende nait presque instantanément : l’actrice aurait été réellement massacrée devant la caméra. Les contempteurs de la pornographie, en particulier certaines féministes radicales, en profitent pour faire leur beurre de cette affaire en jouant sur un amalgame bien foireux : puisqu’on a autorisé les actes sexuels non simulés, n’aurait-on pas encouragé les pornographes à filmer des meurtres réels ? On parle alors de films financés par la mafia où des adolescents des deux sexes seraient suppliciés devant l’œil impitoyable des caméras. Le « snuff movie » devient un genre fantasmé et Paul Schrader en fait le sujet de son très puritain Hardcore. Bien qu’évidemment fausse, la légende urbaine se propage et ressurgit de temps à autre. Ainsi, lorsque l’acteur Charlie Sheen tombe sur la cassette du deuxième volet de la saga japonaise Guinea Pig, il croit à un « snuff movie » et en réfère à la Motion Picture Association of America. Pascal Françaix ajoute : « La découverte du making of du film mit un terme à cette burlesque méprise, qui se répéta néanmoins en Suède, où la police fit appel à un chirurgien pour se prononcer sur l’éventuelle authenticité des sévices. »[1] Et chaque fois qu’un film tente de repousser les limites du représentable et brouille les frontières entre la fiction et la réalité, le spectre du « snuff movie » refait son apparition (Snuff 102, Grotesque, la trilogie August Underground).

Il est alors amusant de revenir au film originel tant sa légende parait disproportionnée au regard de sa ringardise intrinsèque. Réalisé par Michael et Roberta Findlay, deux vieux briscards de la « sexploitation » (qui firent tourner Yoko Ono dans un de leurs films), Snuff est en fait un long-métrage tourné en 1971 et intitulé The Slaughter. Il y est question de motardes camées vivant sous l’emprise d’un gourou surnommé tout simplement Satan. L’ambiance évoque parfois certaines productions de Roger Corman pour le mélange motos, drogue et érotisme antédiluvien (ne vous attendez pas à voir davantage que quelques paires de seins). Mais c’est surtout à l’affaire Charles Manson que l’on songe puisqu’il y est question de sacrifices humains, de délires sectaires et d’une actrice enceinte qui sera sauvagement assassinée (vous sentez l’allusion à Sharon Tate ?). Le tout est évidemment très racoleur mais parfaitement anodin. Ajoutez à cela une post-synchronisation française féeriquement nulle et vous constaterez rapidement vous trouver face à un nanar croquignolet.

Reste alors cette fameuse scène finale, celle que vous « n’oserez pas regarder jusqu’au bout », qui tranche (sans mauvais jeu de mots) avec le reste du métrage par son côté un peu plus « gore ». Elle reste néanmoins très rudimentaire, peu réaliste et bien moins impressionnante que celles que pourront réaliser un peu plus tard nos bouchers-charcutiers italiens favoris (Fulci, Lenzi, Deodato, D’Amato…). Qu’elle ait pu marquer à ce point les esprits au point d’être parfois encore citée comme « vraie » par des idéologues bornés antipornographie laisse pantois.

Et c’est sans doute cette dimension « sociologique » qui constitue, aujourd’hui, le seul minuscule intérêt de Snuff.

 

[1] FRANÇAIX, Pascal. Torture Porn : l’horreur postmoderne. Rouge Profond, 2016.

Pour ce texte, j’ai puisé de nombreuses informations sur le sujet dans ce passionnant essai ainsi qu’à l’entrée WIP Films rédigée par Jean-Pierre Bouyxou dans Une encyclopédie du nu au cinéma (Yellow Now, 1993)

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