Halo mystérieux
Rouges Silences (1978-1984) d’Alain Mazars (Éditions Re :Voir)
Le grand intérêt des DVD édités par Re:Voir, c’est qu’ils permettent de se familiariser avec les œuvres de cinéastes expérimentaux en offrant un panorama représentatif de leurs filmographies. Personnellement, j’ignorais tout d’Alain Mazars (qui a pourtant réalisé des films de fiction plus traditionnels comme Ma sœur chinoise avec Bashung et Balmer, La Moitié du ciel…). La sortie de Rouges Silences et de trois autres courts-métrages permet au néophyte d’appréhender un peu mieux l’univers du cinéaste.
Vu de manière isolée, Rouges Silences (1978) m’aurait sans doute paru un peu hermétique et je serais passé à côté. Les autres œuvres présentées avec permettent de percevoir des obsessions, des motifs récurrents et offrent une vision plus claire de ce qu’Alain Mazars recherche dans le cinéma.
Tout d’abord, on notera qu’avec une économie de moyens remarquable (les films sont tournés en 16 mm avec des acteurs amateurs bénévoles), le cinéaste parvient à produire des images d’une réelle beauté. Cela tient à un sens du cadre évident (les jeux sur la profondeur de champ dans Rouges Silences), à un goût pour un montage très tranchant qui joue sur les répétitions, les effets de saccades et les motifs colorés (le pull rouge d’un des comédiens, les fleurs de la même couleur, les écoulements de sang…).
Le film n’a rien de narratif et je serais bien incapable de vous dire ce qu’il peut bien raconter. Il se présente plutôt comme une sorte de cauchemar avec des silhouettes énigmatiques qui se livrent à de drôles de pantomimes. Le récit est dénué de paroles mais la bande-son -une musique expérimentale et bruitiste- créée un sentiment diffus d’angoisse et d’oppression. Ce n’est sans doute pas un hasard si, beaucoup plus tard, Alain Mazars consacrera un documentaire à Jacques Tourneur. Il y a dans son œuvre un goût pour l’onirisme, le mystère des choses derrière les choses, le hors-champ… Beaucoup de plans de Rouges Silences sont d’ailleurs occultés par divers éléments : de la fumée, des vitres, et l’ensemble baigne dans un climat étrange.
A ce titre, on peut se demander si un cinéaste comme Bertrand Mandico n’a pas vu le beau Jardin des âges (1982) tant Mazars compose son œuvre par une succession de surimpressions et semble nous projeter dans la rêverie d’un vieil homme qui se voit à divers âges de la vie (l’enfance, l’âge adulte…). Partant de la question de l’immortalité des pierres, l’œuvre joue sur la réversibilité du réel et du songe puisqu’il évoque en voix-off le fameux rêve de Tchouang-Tseu (un sage rêve qu’il est un papillon et se demande, en se réveillant, s’il n’est pas plutôt un papillon qui rêve qu’il est Tchouang-Tseu) et nous entraine dans un flot d’images insolites, colorées et superbement composées. Toutes ces strates oniriques composent un film original que Skorecki avait défini ainsi : « Eisenstein fait dans la banlieue parisienne un remake franco-chinois des Fraises sauvages ».
Visages perdus (1983) donne, lui aussi, cette sensation vertigineuse du temps qui passe avec cette succession de surimpressions qui finissent par composer une sorte de symphonie abstraite. Même chose pour Actus (1984) où Mazars s’appuie sur des éléments très concrets voire documentaires pour les rendre presque abstraits. Il s’agit d’une procession religieuse filmée à Séville pendant le semaine Sainte. S’appuyant là encore sur un système quasi sériel (des images des processionnaires ou des bougies reviennent régulièrement), le cinéaste nous offre une vision impressionniste où les flammes des bougies deviennent des sortes de rayons lumineux et de motifs abstraits grâce aux mouvements saccadés de la caméra.
De ce cinéma, on dira qu’il cherche moins à fixer les choses qu’à les enrober dans un halo de mystères (les chants religieux scandés dans Actus sont entêtants). Le Réel se dissimule sous le voile des songes et comme au milieu d’un rêve, on se trouve parfois totalement déconcerté mais on ne regrette pourtant pas d’avoir fait le voyage.