Milan calibre 9 (1972) de Fernando Di Leo avec Gastone Moschin, Mario Adorf, Barbara Bouchet

Passeport pour deux tueurs (1972) de Fernando Di Leo avec Henry Silva, Mario Adorf, Woody Strode

Le Boss (1973) de Fernando Di Leo avec Henry Silva, Richard Conte, Gianni Garko, Vittorio Caprioli

(Éditions Elephant Films) Sortie en coffret DVD/BR le 16 mars 2021

© Elephant Films

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Alors que le western fut l’un des genres les plus représentatifs et des plus féconds du cinéma populaire italien durant les années 60, le « poliziottesco » (polar urbain) eut le vent en poupe durant les années 70. On sait que les artisans transalpins furent toujours prompts à recycler les grands succès du cinéma hollywoodien (la déferlante de zombies débarquant après le Zombie de Romero, les succédanés de L’Exorciste après le triomphe du film de Friedkin…) et c’est en s’inspirant de quelques classiques instantanés (French Connection de Friedkin, L’Inspecteur Harry de Don Siegel, Le Parrain de Coppola puis Un justicier dans la ville de Winner) que naquit un cinéma noir italien extrêmement violent.

Pas forcément reconnu à sa juste valeur (il n’intéressa longtemps que les « bisseux »), ce cinéma se révèle avec le recul passionnant dans la mesure où il ne se contente pas de décalquer les modèles américains et qu’il parvient à s’inscrire dans un contexte politico-social précis qui en fait un bon révélateur d’une société italienne en crise (nous sommes au cœur des « années de plomb »).

Avant de se lancer dans cette « trilogie du Milieu », Fernando Di Leo a participé en tant que scénariste à de nombreux westerns (collaborant notamment avec Leone – Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus…, Corbucci – l’excellent Django- ou Lucio Fulci – Le Temps du massacre-) avant de débuter à la réalisation en 1968 avec l’oublié Roses Rouges pour le Führer.

Il gagne une petite réputation (notamment chez les cinéphiles déviants) en signant en 1971 le bizarroïde Les Insatisfaites Poupées érotiques du professeur Hichcock (connu sous divers titres), sorte de giallo gothique baignant dans une atmosphère érotique prononcée.

Pour le même producteur, Armando Novelli (on l’apprend en lisant le livret informatif signé Alain Petit qui accompagne le coffret), Di Leo débute sa trilogie consacrée aux activités illicites de mafieux sans scrupules.

Ce qui frappe en découvrant ces films, c’est qu’ils s’appuient sur les codes du western mais les transcrivent dans un univers urbain. On retrouvera donc des duels finals particulièrement spectaculaires, des bandits sans foi ni loi intéressés uniquement par l’argent, des clans rivaux et des électrons libres capables de trahir père et mère pour leur propre intérêt, des retournements de situation fréquents qui mettent à mal des alliances sans cesse reconfigurées… Mais aux décors désertiques d’Almeria succèdent les rues sales et sordides de Milan (dans Milan Calibre 9 et Passeport pour deux tueurs) et de Palerme (Le Boss). Ce décor naturel permet à Di Leo de prendre le pouls d’une société italienne confrontée au terrorisme (voir la scène d’ouverture glaçante du Boss), à la corruption des institutions et des élites. Les films soulignent intelligemment les connivences entre la pègre et la police (songeons au commissaire corrompu incarné par Gianni Garko dans Le Boss), la pègre et la justice (l’avocat véreux, toujours dans Le Boss)…Dans Milan calibre 9, le commissaire de police arrogant et conservateur s’oppose constamment à son adjoint qui tente d’expliquer la criminalité par les injustices sociales. A travers ce personnage, Di Leo pose un regard sans complaisance sur une société inique où le Sud est exploité par le Nord, où les riches, en se plaçant au-dessus des lois, engendrent la criminalité… En confrontant les deux discours, Di Leo évite le schématisme manichéen et pointe du doigt à la fois un certain pragmatisme et l’idéalisme.

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Ses films se révèlent souvent d’une grande noirceur et il n’idéalise jamais les gangsters qu’il dépeint. Dans Milan Calibre 9, le « héros » Ugo (Gastone Moschin) est accusé par les gangs mafieux d’avoir dérobé un joli butin de 300.000 livres. Harcelé par la police et par les bandits, il prétend être innocent mais Di Leo nous dévoilera par la suite une facette plus sombre de son personnage. Inversement, le petit proxénète héros de Passeport pour deux tueurs (Luca – Mario Adorf-) est le prototype du bandit misérable qui ne doit sa richesse qu’à sa manière d’exploiter les femmes. Pris dans les rets de conflits d’intérêt mafieux, il est poursuivi par deux tueurs américains particulièrement patibulaires (Henry Silva et Woody Strode dont Tarantino s’inspirera pour créer son duo de bandits Travolta/Jackson dans Pulp Fiction) et finit par s'humaniser. Enfin, Le Boss met en scène un tueur solitaire (Henry Silva) qui va se mettre au service de différents « parrains » pour gagner lui-même sa place en haut de l’organisation…

D’une facture assez classique, ces trois films sont néanmoins traversés par des séquences assez folles qui témoignent de la singularité du cinéma de Di Leo. Dans Milan Calibre 9, on songe à la séquence pré-générique où aucun mot n’est prononcé. Un paquet (le fameux butin) circule d’intermédiaire en intermédiaire (un peu à la manière du Pickpocket de Bresson) jusqu’au moment où le commanditaire réalise qu’il a été floué. Débute alors un règlement de compte particulièrement violent où une femme est frappée sans ménagement et où les mafieux taillade le visage d’un homme au rasoir avant d’exécuter froidement ces participants à l’opération.

Dans Passeport pour deux tueurs, c’est cette hallucinante course-poursuite entre Luca et un tueur venant de provoquer une mort brutale (je n’en dis pas plus pour ne pas déflorer l’intrigue mais la scène est stupéfiante). Enfin, dans Le Boss, c’est notamment cette scène d’ouverture où Lanzetta attaque au lance-grenades un cinéma où les mafieux se sont réunis pour regarder un film porno.

Ces trois exemples me semblent parfaitement caractéristiques du style de Di Leo : une approche assez classique du genre et de ses codes (on sent souvent l’influence de Jean-Pierre Melville) mais traversée par des moments d’une brutalité inouïe (les personnages féminin morflent pas mal), où la mise en scène prime alors sur le récit. Le côté un peu crapoteux (les touches d’érotisme injectées çà-et-là, notamment grâce à la merveilleuse Barbara Bouchet dans Milan Calibre 9 et la craquante Antonia Santilli dans Le Boss) des films les rattache à cette tradition mal-élevée (tant mieux !) du « bis » mais traduit également l’atmosphère d’une époque entre libération sexuelle, contestation politique (la jeune femme du Boss s’apparente aux hippies) et un régime politique ébranlé.

Porté par des trognes inoubliables (le vétéran Woody Strode, le terrifiant Henry Silva avec sa gueule en lame de couteau, l’impeccable Gastone Moschin…), cette « trilogie du Milieu » musclée s’avère passionnante et l’un des sommets d’un genre qu’on n’a pas fini de redécouvrir…

© Elephant Films

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